Empathie auto-protectrice, empathie sélective
TW suicide.
Après avoir hébergé une personne qui lui volait de l'argent, et avoir dû interrompre ses études en France et retourner chez ses parents, une amie a partagé une publication disant que « l'empathie sans limites [était] auto-destructrice ». C'est un excellent aphorisme : il faut mettre des limites à son empathie. Par exemple, s'il me semble naturel de donner de l'argent aux mendiants de mon quartier, ce n'est pas une raison pour leur ouvrir mes poches, ils savent et respectent totalement le fait que je ne leur donne pas d'argent lorsque je suis moi-même en difficulté financière. Mais ce que j'appelle l'empathie sélective est une autre chose, particulièrement validiste et plus généralement basée sur les oppressions non reconnues, par exemple celles de personnes trans dans le placard. Alors que l'empathie auto-protectrice vise avant tout à se préserver, par exemple en assumant ses responsabilités envers soi-même avant d'en prendre envers autrui, l'empathie sélective est basée sur l'essentialisation de certaines personnes qui « mériteraient » ou non d'être aidées. C'est une aberration qui, cela dit en passant, a un passif historique particulièrement lourd ; aujourd'hui encore, ce rapport monstrueux à autrui tue, et pousse au suicide aussi bien des hommes cisgenres que des femmes ou des personnes transgenres qui « mériteraient » ou non d'être reconnu·es comme humain·es.
L'enjeu est bien évidemment la reconnaissance d'une présomption libérale et donc révolutionnaire du caractère fondamentalement solidaire, interdépendant (car corporellement dépendant), bref bon de l'être humain, qu'il faudrait libérer et émanciper, ou à l'inverse celle d'une présomption littéralement obscurantiste du caractère fondamentalement égoïste et dangereux de l'être humain, qu'il faudrait contraindre à faire société (qu'il faudrait, en retour, en protéger – une « société » au service de qui et constituée de quoi, cela « reste » à identifier).
Je comprendrai sans difficulté que des victimes de maltraitance généralisent de manière irrationnelle ce qu'elles peuvent subir, dans la mesure où cette maltraitance se fait généralement avec notre consentement, en présumant que l'être humain serait fondamentalement mauvais, car notre comportement par défaut à leur égard serait d'y contribuer activement ou par notre passivité. Mais l'empathie sélective n'est justement qu'une manière comme une autre de systématiser notre passivité face à la maltraitance que d'autres (catégories de) personnes subissent.