La gauche et la droite
Je suis un peu embarrassée, j'ai commencé un blog sur la manière dont les familles bourgeoises ont dévié la massification de l'internet vers des enclosures (les institutions « socio-capitalistes », ISC), leurs intérêts derrière ça, et en quoi cela consiste en de la maltraitance, et je n'ai même pas défini la gauche et la droite ! En général, on oppose « le » camp social au camp « du capital », et pourquoi pas, mais il me semble que la gauche et la droite sont deux camps sociaux (antagonistes). Ce sont des populations ayant intérêt à collaborer et à communiquer, et dont les intérêts sont antagonistes. Ce sont donc deux groupes sociaux (censés être) solidaires et interdépendants, à l'exclusion de tous les membres du groupe opposé. Évidemment, lorsque la gauche arrive au pouvoir, ce qui fut le cas en 1789 (relativement parlant, on parle de la Terreur et des procès révolutionnaires, mais pas du fait qu'avant la Révolution les bourreaux jetaient les tripes des condamné·es au feu devant elleux, avant de les tuer, ou même du châtiment proposé par Vermeil aux parricides (je vous laisse lire « Surveiller et punir » (Foucault, 1975), je ne donnerai pas plus de détails ici1), elle tend à tuer le camp social dominant (les nobles et, peut-être bientôt, les bourgeois). Le camp social dominant, c'est-à-dire la bourgeoisie, c'est-à-dire la droite, donc, a aussi besoin de faire une révolution pour tuer les gens qui le dérangent, ça s'appelle le fascisme. Dans le contexte du suffrage universel direct, il tente donc de corrompre la démocratie en menant ce que l'on est en droit de considérer comme des psyops, par exemple de donner honte aux enfants de pauvres d'être des enfants de pauvres, et en diffusant le sentiment que l'être humain serait fondamentalement mauvais, et aurait besoin de l'État et de la police pour ne pas tuer son prochain.
Un premier exemple peut être une émission de M6 particulièrement dérangeante, dans laquelle des journalistes ont filmé des pauvres, l'une organisée, l'autre désordonnée, en montrant (chronomètre à l'appui) que la désordonnée récupérait un objet arbitraire plus rapidement, émission dérangeante donc, pour un enfant regardant les émissions choisies par ses parents, puisqu'il est évident qu'un minimum d'organisation est nécessaire pour partager un espace. Les enfants et les adultes n'auront donc pas le même rapport à cette émission, puisque les premiers pourront la regarder sérieusement alors que les seconds la traiteront comme un simple bruit de fond, en faisant des tâches domestiques, ou alors auront suffisamment de recul pour se rendre compte que c'est n'importe quoi. En revanche, des enfants de parents désordonnés auront honte de leurs familles, assimileront leur pauvreté (et donc leur manque de capital culturel) à cette essentialisation : les pauvres sont désordonné·es. Dans le second cas, deux exemples : premièrement, la massification de l'internet dans des enclosures qui matraitent leurs utilisataires ; le comportement « violent » d'une personne maltraitée est ainsi présenté comme révélant une nature humaine implicitement considérée comme violente, ayant besoin d'être contrôlée, bridée, muselée par la police et par l'État, seuls protecteurs de l'individu contre le Léviathan (théorie fumeuse appréciée des juristes). La solution évidemment serait davantage de coercition : interdire l'« anonymat » (sic) en ligne, permettre la censure des sites web par la police en vingt-quatre heures, non, en une heure ; la loi européenne de censure numérique n'était pas encore promulguée par la France que les éléments de langage censés l'étendre à l'ensemble de nos communications, et notamment aux Français·es les plus pauvres en capital global, économique et culturel, les plus maltraité·es aussi2, étaient déjà là.
J'ai montré d'une façon qui me satisfait que les pauvres et les cadres n'ont pas la même expérience de Twitter : concernant des journalistes, des cadres donc, rémunéré·es notamment pour se spécialiser dans des sujets d'enquête, Twitter était une plateforme tout à fait honnête, et Mastodon en est un clone, donc il n'est pas surprenant de les y retrouver (en même temps que des survivant·es à la maltraitance de Twitter). Je ne crois pas que ces cadres puissent comprendre les victimes de maltraitance et réciproquement : ce n'est que par mon passage d'une catégorie à l'autre, un « travail dispositionnel » (Darmon, 2019), que j'ai pu passer d'un usage dit « passif » à un usage dit « actif ». Le rasoir de Hanlon (préférer l'explication d'un comportement nocif par la stupidité plutôt que par la malveillance) permet, même lorsque l'on est face à un cas de malveillance réelle, de mieux comprendre un phénomène, et évite de verser dans des théories du complot : par exemple, je ne crois pas que quiconque promeuvrait ChatControl avec l'objectif de produire un futur dystopique, on a simplement un marchand d'armes numériques, de programmes de surveillance de masse, qui a corrompu la vice-présidente de la Commission européenne. (De manière générale, la concentration des pouvoirs facilite la corruption. Je ne regarde pas du tout le régime présidentiel.) Je ne crois pas un instant que Ylva Johansson, commissaire européenne de l'Intérieur, ait menti par malveillance mais plutôt par corruption personnelle ou pour répondre à des consignes de supérieur·es hiérarchiques (comme Ursula von der Leyen, Présidente actuelle de la Commission européenne, qui a plagié 43,5 % de sa thèse en médecine, et connaissant personnellement le directeur de la commission ayant décidé de ne pas révoquer son diplôme), ellui-même corrompu·e. De même, même si les journalistes ont pu répondre, par ignorance, à des appels de pied de leurs supérieur·es hiérarchiques, ou même avoir été manipulé·es, je pense que c'est avec un enthousiasme tout à fait sincère et naïf qu'iels ont mis des mots-clés en début d'émission, croyant promouvoir l'internet et n'ayant donc fait que dévier sa massification dans des enclosures.
De même, la maltraitance numérique répond avant tout à des intérêts économiques, ceux de faire afficher des publicités (à des humains) et donc de satisfaire des investissaires en capital-risque, qui financent le développement de Twitter, en attendant de cette entreprise un revenu sur investissement de l'ordre du triple ou du quadruple. Je pense que chaque cadre travaillant pour Twitter devrait comparaître à La Haye pour complicité à un crime contre l'humanité, mais je ne pense pas pour autant qu'iels auraient conscience de ce qu'iels font, iels ont sans doute même développé des stratégies préconscientes pour éviter les informations pouvant leur en faire prendre conscience. Il n'y a même pas lieu de supposer une alliance objective entre un Dorsey et les bourgeoisies locales de chaque pays ; toujours est-il que les ISC donnent bien le sentiment que « l'Homme [serait] un loup pour l'Homme », que l'être humain serait naturellement mauvais, et donc que l'État et sa police devraient protéger l'individu et ses droits du « Léviathan ». À l'inverse, l'approche révolutionnaire, qui est la mienne, considère que l'être humain serait naturellement bon, mais seulement envers les membres de son camp social, par exemple je suis une femme trans, je fais face à des réactions ambigües entre ma fleuriste (Dieu bénisse les fleuristes) qui m'a dit cet après-midi que j'avais une belle salopette et qu'elle en avait acheté une en mousseline à la Dégriffe de la Grande Rue de la Guillotière, et une salariée d'un magasin d'informatique qui m'a probablement fait comprendre qu'elle ne voulait pas faire commerce avec moi, en passant par le gérant du web café qui m'a fait un grand sourire, très crispé, mais qui a offert un service payant à une cliente âgée qu'il appelait « mama », en lui disant qu'elle le paierait quand elle gagnerait au loto. Je considère ces personnes comme membres de mon camp social, nous avons les mêmes intérêts à socialiser le travail, la culture, l'État, et la technologie, ainsi qu'à éviter un génocide climatique. Ces personnes ont seulement un niveau d'éducation inégal sur la transidentité, mais considèrent toutes comme « humain » l'écoute attentive, l'empathie, le respect, la décence, la solidarité, etc., autant de valeurs qui ne sont que des conditions optimales de communication et de collaboration, c'est-à-dire de solidarité et d'interdépendance, qui sont, d'un certain point de vue, la définition d'une société. Je ne crois pas un instant que les bourgeois·es croieraient que les membres de leur propre camp social seraient naturellement mauvais, et si nous le faisons, c'est probablement car nous sommes victimes de leur propagande.
Un second exemple peut être Dart, dans la série « Stranger Things », une créature du monde inversé, adoptée à sa naissance par un gosse pas très futé comme son chien, et reconnaissant son maître près du portail dimensionnel que Elf refermera, incarnant ainsi, d'un point de vue naïf, l'humanité que permet une éducation humaniste même dans un être incarnant biologiquement le mal absolu cœur cœur cœur mais aussi, plus insidieusement, le mal absolu, bref le Léviathan, qui résiderait en chacun·e d'entre nous.
C'est notamment à travers cette lutte culturelle, de fragilisation des démocraties à travers l'aliénation médiatique de leurs peuples, capitale pour la bourgeoisie, visant à désagréger notre camp social « pour soi », dont les membres seraient conscients de leur solidarité et de leur interdépendance, autrement dit à désagréger notre conscience de classe, que je m'intéresse aux rapports entre la gauche et la droite en tant que camps sociaux.
1 La Révolution française reste un énorme progrès social, ce qui est une autre manière de désigner la gauche – les coopératives et plus généralement le communisme libertaire seraient avant tout un progrès économique considérable, sans doute le plus gros progrès économique depuis 1789 – ; on peut comparer ce que Foucault appelle « l'amende honorable » à « l'adoucissement des peines », la guillotine, la prison, et les procès révolutionnaires.
2 La « haine en ligne », concept qui encore une fois ne veut rien dire, et qui n'est qu'un mensonge, prolonge dans les normes sociales la déshumanisation des personnes sur lesquelles les ISC exercent le plus d'emprise que l'on trouve déjà dans le marché et la technologie. L'absence de régulations sur l'exploitation numérique aidant, il ne reste plus qu'une déshumanisation légale pour pouvoir les considérer, authentiquement, comme des esclaves.