Pas de progrès social sans les personnes mineures !
Quand j'étais petite ma mère a réfréné son attrait pour la télévision, puis on a commencé à la regarder tous les soirs quand j'étais adolescente. Je me définissais alors comme une « téléspectatrice passive », en référence au tabagisme. Un souci avec la télévision est que les programmes, même familiaux, ne sont faits que par des adultes, pour des adultes, ce qui efface les personnes mineures en tant que consommataires de médias. Or, pour de nombreuses personnes, les médias bourgeois seraient le pilier de la démocratie. Ce phénomène parmi d'autres nous amène à ignorer, y compris dans des milieux militants, les enjeux des personnes mineures, comme s'ils n'étaient pas d'intérêt public. On y retrouve la constitution de la gauche comme groupe objectif de travailleurs blancs, auto-défini par son partage de mêmes sensibilités politiques – bien que cette définition soit en cours de féminisation – et donc de personnes blanches majeures et valides. Si la gauche est un groupe de solidarité entre travailleurs, qui oserait faire entrer des adolescent·es ou des écolièr·es dans cette catégorie ? Je pense cependant qu'un intérêt pour leurs enjeux est essentiel pour notre camp social : à la fois par principe, au nom de nos valeurs, mais aussi car nous pouvons y trouver une victoire sémantique capitale, notamment dans le contexte actuel.
Le capitalisme n'est qu'une arnaque, une manière de s'approprier la force de travail ou, autrement dit, le temps, l'énergie, et les vies des travailleur·euses, passant par les plus « hautes » institutions, assurant donc une relation pérenne entre les escrocs et leurs victimes : c'est donc de la maltraitance. C'est un problème majeur avec le capitalisme : les problèmes de santé qu'il crée sur les travailleur·euses dont il vole littéralement les vies et les trajectoires de vies, mais dont il déforme aussi les corps ; le définancement des services publics qu'il induit, de la santé aux écoles, en passant par les allocations familiales, maltraitent les pauvres, les travailleur·euses, les parents. Mais qu'en est-il des enfants ?
Considérons les principes directifs d'institutions suivants : le marché, les technologies, les normes, et la loi (Lessig, 1999). On pourrait dire que les logiciels et plus généralement les machines seraient des institutions, car ils seraient une forme de technologie. De même, les services publics sont réglementés par la loi ; le mariage et la famille, quant à eux, sont désormais, en France, surtout tributaires des normes sociales (il est parfaitement légal et de plus en plus normal de vivre en relation polyamoureuse ou de former un polycule). Le travail, quant à lui, dépend principalement du marché – lui-même encadré par la loi. Or, quand un parent voit ses allocations familiales réduites ou supprimées, ou lorsque le temps de travail hebdomadaire est augmenté, quelles sont les premières victimes ? Que faire de la prédation (réussie) des enfants par l'industrie du sucre, à travers les goûters, les sucreries, les bonbons, les desserts ? Si une mère prend un paquet de bonbons des mains de son enfant un vendredi soir dans un hypermarché bondé, en lui intimant de se taire s'il veut qu'elle l'achète, c'est de la maltraitance, mais peut-on considérer que cette pauvre mère sort du travail, et est allé chercher ses enfants à la crèche (en voiture, parce que c'est une mauvaise citoyenne), avant d'aller faire les courses, en espérant tenir, avoir l'énergie de leur faire un repas en rentrant à 8h du soir, faire un peu de ménage, puis les coucher, avant de s'effondrer épuisée ? Peut-on faire comme si le contrat de travail de cette femme, son salaire horaire, la pénibilité de son travail en lui-même, ses horaires, dépendant eux-mêmes de ses allocations familiales, du service public local, de services de garderie à l'école (et donc de son financement), ainsi éventuellement que la maltraitance numérique, qui peut amener des parents à mettre Candy Crush dans les mains d'enfants ne sachant pas encore parler – peut-on ignorer l'impact que cette maltraitance aura en particulier sur les enfants ? En nous intéressant aux personnes mineures, en nous investissant dans leurs luttes, ne peut-on pas construire un discours amenant à les protéger du capitalisme, et donc de la maltraitance scolaire et familiale, c'est-à-dire notamment de la maltraitance économique de leurs familles ?
Nous avons donc beaucoup à gagner en nous attachant à jouer nos rôles d'adultes et à protéger les enfants, les adolescent·es, les personnes mineures du capitalisme d'État (comme on devrait le faire contre la présidence EELV de la métropole lyonnaise).