Auto-stop
L’aire du pont
Il faisait froid. Terriblement froid. Le carrelage des toilettes accentuait la fraîcheur du vent qui se faufilait par le jour sous la porte. Le jean descendu sur les chevilles, elle observait les pores ouvertes sur ses cuisses. Une chair de poule qui ne leur rendait pas grâce. Si seulement, elle avait pu faire autrement.
La dernière fois qu’elle était passée par cette route, il y avait des stations essence un peu partout mais les interminables travaux avaient tués tous les commerces. Elle s’était donc arrêtée à la première aire de repos croisée. Celle du pont de Normandie. Un vent violent s’engouffrait dans la passerelle, surplombant le péage, qui hurlait sa douleur d’un cri métallique déchirant. Les bourrasques renvoyaient régulièrement la jeune fille se claquer sur la rambarde. Elle n’osait imaginer ce qui lui arriverait si elle passait par dessus. Un rebond sur les cabanons ne l’aurait sans doute pas tuée mais combien de temps serait-elle restée sans aide, une nuit de 24 décembre au milieu d’une autoroute déserte avec une jambe brisée.
Sa lutte acharnée contre les éléments l’amenait à penser qu’elle mériterait un café bien chaud une fois arrivée. Aussi rassurante qu’était cette pensée, elle n’était pas sa priorité. D’abord, trouver des toilettes. Tout était désert, fermé. Ce ne devait pas être un simple congé de Noël puisque les murs de ce qui devait auparavant être un restaurant commençaient à s’effondrer. Tant d’efforts pour tomber sur ça. Elle commençait à désespérer mais vit en se retournant, que les toilettes étaient dans un bâtiment isolé. Pas en meilleur état, certes, mais ils semblaient ouverts et c’était tout ce qu’elle souhaitait. Elle ne se voyait pas monter les escaliers métalliques, traverser la route, descendre de l’autre côté et reprendre la voiture. Pour combien de kilomètres en plus ?
Finalement, la chance lui souriait.
Le vent poussa la porte battante, étiquetée d’une dame blanche en jupe, et lui ramena une odeur infecte. Urine, excrément, animaux morts. Elle ne sut découvrir toutes les subtilités du parfum qui commençait à imprégner les fibres de son pull mais une chose était sûre : elle n’avait pas envie d’entrer. Elle entrouvrit à peine. Juste pour voir. Ne pas avoir de regret. Elle ne fut pas déçu.
Les toilettes n’avaient pas été lavés depuis de nombreux mois. Un coin de la pièce sombre était jauni d’urine, un autre voyait son sol couvert de canettes vides et de seringues usagées. Elle ferma aussi sec.
D’instinct, ses jambes se croisèrent. Il était maintenant plus difficile de retenir la goutte qui tentait de s’échapper, comme toujours quand on se trouve à quelques pas de toilettes avec une envie pressante. Elle ne tenait plus. Devant l’absence de réelle alternative, elle poussa la porte de l’homme en blanc et pressa un interrupteur poussiéreux. Si elle avait trouvé un cadavre, elle aurait sans doute soulagé sa vessie avant d’appeler le 17, mais la surprise était de taille : ils étaient moins sales que les autres. Bien sûr, ce n’était pas Versailles, bien qu’il paraît qu’on s’y lâchait derrière les rideaux, un carrelage autrefois blanc recouvrait la pièce jusqu’au plafond poussiéreux, mais qu’importe, ici elle pourrait se soulager sans attraper la mort.
Elle avança. Une porte sortie de ses gonds, une autre brisée qui laissait tout voir, puis une correcte. Enfin ... Elle poussa la porte et vit que la place était prise. Une grosse araignée de canalisation aux interminables pattes velues et arquées était prête à bondir. Mue par la fameuse goutte toujours plus pressante, et avec la grâce d’une danseuse, elle écrasa le monstre d’une pointe magistrale, pivota et fit glisser ses effets dans la foulée. Sa culotte recouvrait déjà ses chevilles que les pattes de l’araignée frémissait encore.
Enfin vint le soulagement, cet instant ou plus rien ne compte. La fumée s’échappant de la cuvette donnait une touche infantile et drôle à la situation. Puis le monde redevint peu à peu ce qu’il était, plus noir, plus sombre et surtout plein de doutes. La main sur la poignée. Pas de papier sur la lunette. Quelle idiote, pensa-t-elle. Elle n’était pas une maniaque du ménage comme on pouvait le voir dans les séries de banlieusardes américaines de l’époque, mais tout de même, une femme se devait de respecter quelques règles d’hygiène. Pousser une porte du coude, était l’une d’elle. En même temps c’était ça ou je me faisais dessus, et quitte à en arriver là, j’aurais pu rester au chaud dans la voiture.
Le grincement de la porte du bâtiment s’étira dans le silence, presque religieux, qui couvrait les lieux. Assise sur le trône, elle attendit quelques secondes puis, impériale, lança : « Y a quelqu’un ? ». La question rebondit de nombreuses fois sur le carrelage, mais ne trouva jamais réponse. Le vent sans doute, pensa-t-elle.
Son affaire réglée, elle remonta ses chausses et poussa la porte, du coude cette fois, en regardant ce qui restait du monstre qu’elle avait éliminé quelques temps plus tôt. Un aigle en métal. C’est tout ce qu'elle distingua, alors que quelque chose l'agrippa et la renvoya s’asseoir sur le siège tant cherché. A nouveau l’aigle en métal. Cette fois, elle en discerna les contours. C’était une boucle de ceinture, posée entre un jean délavé et une chemise de bûcheron. Elle se releva pour faire face à celui qui l’attaquait, et fut agrippée par le cou.
« Alors coquine, on s’est perdu ? C’est pas un lieu pour une jeune fille ici. C’est que t’es foutrement mignonne en plus.
— L..ch...mou..., fut tout ce qu’elle put articuler tant la pression sur sa gorge était forte. »
Alors qu’il la toisait d’un œil lubrique pendant d’interminables secondes, elle se débattait du mieux qu’elle pouvait. L'agresseur était costaud, beaucoup trop costaud pour elle en tout cas et ne semblait pas beaucoup plus âgé. En d’autres occasions, elle l’aurait sans doute trouvé mignon. Pour la tête, il aurait fallu le voir sans sa mine rouge et ses yeux exorbités de pervers, mais son corps, en tout cas, valait le coup d’œil.
Dans la situation actuelle, tout ce qu’elle constatait, c’était leur différence de force. La panique tendait ses muscles, mais ne lui permettait toujours pas de se libérer.
Il la retourna, face plaquée contre le carrelage poisseux et glissa une main sur sa poitrine, la descendit sur son jean.
« Bordel, si les copains savaient qu’on trouve des pouliches comme ça en s’arrêtant ici, ptet ben que le restaurant serait encore ouvert, dit-il d’une voix grasse. » Une fois encore le carrelage réverbéra la voix, et donnait l’impression qu’une petite foule était amassée autour d’eux. Mais non, elle était seule. Ils étaient seuls.
D’une main, il commença à déboutonner son jean. Le geste était maladroit, sans doute celui d’un débutant dans le défroquage à la va-vite. Elle n’arrivait pas à crier, mais sentit une goutte rouler sur sa joue. Je pleure ? pensa-elle. Mais bats-toi ma fille, tu pleureras plus tard. Elle chercha une arme. Si seulement, j’arrivais à décrocher le distributeur de papier. Ou si j’arrivais à prendre la brosse à chiottes et enrouler la chaîne autour de son cou, je pourrais peut-être... Réalisant qu’elle n’était pas l’héroïne d’un film d’action, elle lança sa jambe en arrière, tentant d’atteindre la partie la plus tendre du bûcheron mais rata son coup. Ça aussi, ça ne fonctionne que dans les films.
Tirée par les cheveux, elle vit soudain le carrelage s’éloigner. Son visage avait imprégné des marques dans la poussière. Il était bien blanc à l’origine, pensa-t-elle dans un moment de folie. Puis les carrés se rapprochèrent, rapidement... dangereusement. Elle sentit sa tête exploser en mille morceaux. Le mur était maintenant rouge. Non. Tout virait au rouge. Ses yeux, gorgés de sang, se fermaient doucement. Elle perdait conscience. Tout tournait. Tous les bruits devinrent sourds. Tous, sauf un, qu’elle identifia très nettement. La boucle de ceinturon venait de heurter le sol dans un cliquetis qui avait arrêté son cœur. L’aigle fondait sur sa proie. Elle sut que tout était fini.
Une auto-stoppeuse
Autoroute A10, 18h30. Une golf bleue filait en direction du Nord.
« Hey M’man, on s’arrête dans trente minutes pour que tu pisses et dans trois heures pour manger et dormir. Ok ? »
Thomas s’adressait à une vieille dame, confortablement installée sur le siège arrière, un visage tapissé de profondes rides. La ceinture donnait des formes étranges au ballon, empli de purée et de compote, qui lui servait de ventre. Elle n’avait pas plus de soixante ans, mais dans sa robe usée bleue fleurie de marguerite, elle en paraissait trente de plus. Ni mouvement, ni mot pour lui répondre. Paraplégique depuis des années, elle ne participait plus à la vie de son entourage que par de vagues clignement d’yeux ou filets de bave qu’elle laissait couler sur son menton.
Il n’attendait certainement aucune réponse, pourtant il relança cynique :
« Ça va vraiment être un plaisir de faire tous ces kilomètres en ta compagnie. »
A défaut de dialogue, il monta le son de l’autoradio. C’était Metallica. Excellent moyen de faire passer la route beaucoup plus vite, pour peu, bien sûr, qu’on sache slalomer entre les radars.
Je m’ennuie... Trouves-moi quelqu’un.
A la borne 146, le temps sembla s’arrêter. La voix de Lars Ulrich, qui couvre pourtant souvent les guitares du groupe, devint sourde, inaudible. Le décor défilait par les vitres au ralenti. Thomas eut le temps de s’imprégner de tous des détails de la rencontre qu’il venait de faire.
Assise sur la rambarde de sécurité, une superbe voyageuse, pouce levé, le regardait, droit dans les yeux. Ils étaient bleus. Presque gris. Profonds. Abyssaux.
Sur d'interminables jambes hâlées, à peine cachées par un short en jean minuscule, elle tapotait un carton : Bruxelles. A cent quarante kilomètres heures, il s’était noyée dans les yeux d’une auto-stoppeuse en bord de route qui allait dans la même direction que lui. C’était impensable. Des fois, la vie fait bien les choses.
Il écrasa le frein et se rangea sur la bande d’arrêt d’urgence, remarquant à peine les klaxonnes qui saluaient la leçon de pilotage qu’il venait d’offrir mais les remerciant par réflexe d’un majeur levé bien haut. Une seule chose comptait à ce moment là : un t-shirt « I Love Bayonne », déchiré au nombril et au cou, avançait cahin-caha, vers la porte passager.
Bien... Il était temps. Enfin un peu d’animation.
Posé sur le rebord de la fenêtre, un décolleté vertigineux hypnotisait Thomas. En plus d’être déchiré, le t-shirt de la demoiselle était beaucoup trop ample pour ce qu’elle avait à mettre dedans. D’où il était, il voyait deux seins de taille moyenne, fermes juste comme il faut, un bout de soutien gorge, un nombril et le haut d’un jean. A part sur une plage, il aurait pu difficilement en voir plus pour une première rencontre. Prenant tout le temps qu’ils pouvaient, les yeux de Tom escaladèrent les épaules puis le cou de l'auto-stoppeuse, pour arriver aux tendres lèvres qui s’agitaient vainement. Se concentrant un peu plus, il commença à reconnaître quelques mots :
« ..vez m’emmener ?
— euh ouais mais pour où ? »
Crétin, pensa-t’il alors qu’elle agitait sa pancarte les yeux remplis de tendresse.
Pas mal du tout en plus. Ça c’est une belle prise.
S’affalant sur le siège passager, il ouvrit la porte. Elle glissa ses longues jambes dans la golf et tendit la main.
« Lucie. Enchantée !
— Euh Thomas. Enfin Tom. et euh... charmé ! Il pointa un pouce vers le siège arrière. Ça, c’est ma mère : Ilda..
— Mon Dieu ! cria Lucie en se retournant. Pardon madame, je ne vous avez pas vu.
— Oh, ne t’inquiète pas va, dit Tom. Son esprit a quitté son corps depuis bien longtemps, donc je ne pense pas que tu puisses la vexer. Pas vrai Ilda ?»
Touche pas mon Tommy !
Le regard fantomatique de l’aïeule se fit plus vif, plus perçant. Elle tentait de scruter la personnalité de la demoiselle en se doutant de comment tout ça allait se terminer. Fuis ma fille, pendant qu’il est temps, se disait-t’elle. Ah moins bien sûr que tu ne sois toi aussi, une de ces garces.
Que ne donnerait-elle pas pour pouvoir lui dresser encore un sermon : C’est encore et toujours la même chose avec toi. Depuis que t’es petit, je sais que tu as un soucis avec tout ça. Déjà à l’école tu espionnais le dortoir des filles. A la maison, tu avais toujours quelque chose à prendre dans la salle de bain quand ta sœur prenait une douche. Tu crois que je ne sais pas tout ça. Mais mon petit Tom, regarde ta vie enfin. Elle n’envisagea jamais que Tom avait peut-être besoin d’aide. Pas mon Tommy, se répétait-elle sans cesse.
En silence, elle espérait juste que Lucie n’était pas encore une de ces “invitées”, comme Tom les appelait. Il avait pour habitude de ramener régulièrement des filles à la maison. Toujours mignonnes. Jamais la même. Ils passaient leur soirée à rire et boire, puis l’heure venue, à défoncer le mur qui séparait les deux chambres, à grand coups de tête de lit. Le lendemain, la fille était déjà sortie de leur vie, et ce n’était pas plus mal selon Ilda car elles n’avaient pas de place dans leur quotidien à tous les deux.
Elle savait que son Tommy la voyait comme un légume ou un bout de viande qu’on ne peut jeter bien qu’il soit avarié. Elle faisait des efforts pour communiquer, mais il ne voyait jamais rien. Ou peut-être, préférait-il ne rien voir. Ne pas se dire que l’esprit de sa mère était enfermé dans une prison de chaire. Ilda préférait cette idée. Elle le rendait plus humain, mais la vérité est qu’il vivait une vie de trentenaire libéré, beau gosse, dragueur, et se souciant peu de sa mère handicapée. D’ailleurs c’était exactement ce qui se passait dans la voiture où un regard réprobateur le fixait depuis dix minutes. Il ne voyait rien, les yeux bien trop occupés entre la route et le short de Lucie qui remontait constamment le long de ses cuisses.
Usual Suspects
La sonette de l'accueil tinta d’un son aigu qui vint voler la réplique finale de Kevin Spacey. Rien ne pouvait plus énerver Victor Helinsky qu'on ne lui gâche un film culte. Le tintamarre ne s’arrêtant pas et comme son film était déjà gâché, Victor se dirigea vers le comptoir, un sourire de meurtrier sur les lèvres, prêt accueillir l’armoire à glace et la vieille en fauteuil, qui l'attendaient.
« Sans déconner, vous n'avez rien trouvé d'autre que de venir chez moi a c't'heure là.» Comme il aurait aimé avoir le courage et la situation financière qui lui permettrait de refuser des clients de la sorte. Au final, comme à chaque fois, « A vot' service », fut tout ce qu'il put dire.
« Une chambre avec deux lits.
— T’es bien comme tous les gars baraqué qu’j’ai vu : incapable d’utiliser un verbe et encore moins d’user d’politesse. Bien sûr, je regarde si j’ai encore de la place.
— Ah ah, elle est bien bonne celle là. On a pris ton hôtel parce qu’on avait pas de thune à mettre dans un truc convenable et tu voudrais que j’crois qu’il est plein.
— …
— Ah ouais, au fait, tu peux faire un truc pour moi ? » Sans attendre de réponse il continua : « Dehors, il y a une poulette en train de fumer qui devrait te d’mander une chambre dans les cinq minutes. Ça serait bien si tu lui mettais une chambre à côté d’la mienne. Qu’j’ai pas à chercher partout, si tu vois c’que j’veux dire ». Gros clin d’oeil entendu.
Victor haïssait ce genre de client. Malheureusement, quand on tient un hôtel de ce standing, on accueille que ce genre de client. Comme son père lui avait appris, des années auparavant, il s’imposa un sourire de façade, et tendit les clés d’un geste presque respectueux. Puis le fauteuil de la vieille dame prit le chemin du couloir de la chambre 15 dans un crissement étouffé de roues sur vieux lino. Cinq minutes plus tard, dans un nuage de fumée, une superbe jeune femme passa la porte, l’air sembla s’assécher, la gorge de Victor se serrer. Il avait totalement oublié Keyser Söze.
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Tout tournait. Tout était embrumé. Tom venait d’ouvrir les yeux et tout semblait encore flou. Une tapisserie jaunie par la fumée de clopes, une moquette rêche, une lumière vacillante et un téléviseur dans le coin de la pièce. Ok, j’suis dans c’te saleté d’hôtel. Luttant contre un mal de crâne tenace, il fouilla dans ses souvenirs et réussit à entrevoir la journée par flashs.
Ils mangeaient dans un restoroute. Un routier commandait un énième café et se baffait le visage violemment. Tous les moyens semblaient bons pour éviter à ses yeux de tomber dans les immenses poches qui pendaient dessous. Derrière lui, une femme criait à son mari qu’il était inadmissible de payer une voie rapide pour être arrêté toutes les cinq minutes par des bouchons. Et ces gens qui changeaient de file… La victime des aboiements, concentré sur son steak, semblait se demander ce qu’il faisait depuis tant d’années en compagnie d’une telle bonne femme. Assise au bord d’une table luisante de graisse, Lucie donnait la becquée à Ilda. Campée dans son fauteuil roulant, une couverture écossaise sur les genoux, elle avalait tant bien que mal de l’eau saveur patate, que le restaurant vendait sous le nom de purée. Un filet de bave lui coula le long du menton et finit sur sa vieille robe, signe qu’elle devait sans doute être aux anges.
Il réservait une chambre pour lui et sa mère. Le réceptionniste, gueule tordue, télécommande à la main, n’avait visiblement pas envie de faire son travail correctement. Lucie fumait une clope dehors et il ne l’attendrait pas pour conduire le fauteuil dans le labyrinthe des couloirs sordides de l’hôtel. La moquette était tachée, les tapisseries se décollaient, les lumières clignotaient. Couplés au grincement des roues du fauteuil, on se croyait dans un film d’horreur. Et pourtant, le souvenir des cuisses de Lucie hantait ses pensées.
Quelqu’un tambourinait à la porte. Lucie entra en trombe, une bouteille à la main. Elle voulait fêter leur rencontre et le remercier d’avoir été si gentil. Au goût, le champagne semblait venir du fin fond du garage poussiéreux du gars de l’accueil. Tom espérait que Lucie n’avait pas dû faire trop de clins d’yeux et déhanchés pour obtenir une liqueur aussi dégueulasse mais qu’importe. La bouteille ne pouvait que l’aider à obtenir ce qu’il cherchait depuis leur rencontre.
Assis sur une chaise, dos au lit, Tom se rappelait tout ou presque. Quel con ! Mais quel con ! Qu’est-ce que j’fous là, endormi ? Il sourit. J’ai tiré mon coup au moins. Attaché à la chaise et uniquement paré d’un caleçon poisseux de sperme, il se dit que tout n’était peut-être pas perdu.
« Alors ! Enfin réveillé ? » Lucie lui parlait depuis la salle de bain dont la porte entre-ouverte laissait apparaître un shorty en soie couvrant d’interminables jambes au teint halé, une veste en toile semi-transparente avait remplacé le t-shirt déchiré et au gout de Tom, c’était encore trop habillé.
« Euh ! Elle est où ma mère ? demanda Tom la bouche encore pâteuse.
— Ben, dans ma chambre. En plus de roupiller, tu ne vas pas me dire que t’as oublié ce qu’on vient de faire ?
— Nan. Bien sûr que nan. Attends tu m’prends pour qui là.
— Ok, ok, alors je vais pouvoir continuer à te remercier. »
Elle se retourna, délaça le filin du voile qui couvrait sa poitrine et s’avança vers lui. Il avait déjà vu de nombreuses femmes nues, mais aucune ne l’avait tant fait déborder d’envie. Même les lumières clignotantes dans ce décor miteux rendaient grâce à sa poitrine généreuse et ses hanches creuses. Elle s’approcha doucement, langoureusement, chaque pas faisant bouillir un peu plus le sang de Tom. Arrivée à lui, elle se mit à genou, et lui embrassa les jambes. Une main experte, glissée sous le caleçon commençait à le caresser. Finalement agacée par ce dernier rempart de tissu, elle l’enleva violemment, et s’assit sur lui à califourchon, frottant doucement son shorty sur le sexe turgescent qu’elle venait de mettre à nu. Tom ne sut plus où donner de la tête. Il aurait souhaité prendre un peu de recul, penser à autre chose, se calmer, mais les mains qui se baladaient sur son torse traçaient des gravures enflammées. Elle s’approcha doucement de son oreille et lui susurra de se calmer, de la laisser gérer cette fois.
Repoussant le dernier morceau de soie, elle le guida et resserra leur étreinte. De nouvelles bouffées de chaleur vinrent envahir Tom, au rythme de la danse endiablée que lui imposait sa belle. Leur corps devinrent moites, leurs battements de coeur s’accélérèrent à l’unisson, puis les souffles haletants laissèrent place à de petit cris grandissants. Sentant que le jeune homme était à bout de force, Lucie ralentit la cadence, saisit la ceinture de son voile, lui entoura le cou et resserra son étreinte. Elle reprit doucement les va et vient. Tom, d’abord apeuré, fut surpris du résultat : son sexe gonflait encore; et se laissa finalement faire. Toi cocotte, t’en connais des trucs. A coup sûr que j’le réutiliserai c’truc là. Leurs corps entremêlés devinrent moites, leurs gémissements s’accentuèrent. La chaise grinçait de douleur et menaçait de céder à chaque instant. Au moment où elle se sentit prête, Lucie serra le voile aussi fort qu’elle le pouvait, et ils jouirent ensemble. Tom n’avait jamais connu telle délivrance, mélange d’angoisse, d’envoûtement, de plaisir et d’ivresse. Doucement, leurs respirations ralentirent, Lucie desserra le voile.
Bien ! Bien ! A mon tour maintenant.
Fait divers
Ses yeux s’ouvrirent. La fraîcheur du carrelage sur sa peau lui avait paralysé la moitié du visage. Du sang séché marquait ses cuisses et une flaque entière s’était formée sous son pantalon. Ses muscles ankylosés, ne lui permirent de se relever qu’après de longues minutes qui lui permirent de réaliser ce qui venait d’arriver. Elle avait froid, elle était seule au fond de toilettes minables d'une aire d'autoroute désertée et sa vie venait de basculer, les ténèbres l'avaient engloutis.
Fils de pute.
Alors qu’ils reprenaient difficilement leur souffle, une flamme nouvelle animait le regard de Lucie. Elle serra sa prise sur la ceinture d’un tour de poignet et tira de toutes ses forces. Tom s'apprêtait à déclarer qu’il ne pourrait pas reprendre tout de suite leurs ébats, mais en posant les yeux sur sa compagne d’un soir, il réalisa que ce n’était plus un jeu. Il tenta de s’agiter, se débattre, mais ses membres étaient solidement liés et Lucie semblait être une entrave insurmontable. Ce corps qu’il avait tant admiré, était taillé pour cet instant : des jambes solides qui maintenaient la chaise au sol, des hanches robustes mais agiles, pour garder l'équilibre, des bras si menus et qui pourtant dégageaient tant de force. La belle était métamorphosée en bête féroce aux yeux révulsés et au rire sadique.
Comme pour lui montrer qu’elle commençait seulement à prendre du plaisir, elle reprit les va et vient, et, dans une réaction naturelle, le corps de Tom y répondit. Les contractions et relâchements successifs rythmaient les nouveaux gémissements du bourreau, tandis que les plaintes étouffées de la victime commençaient à ralentir. Dans un ultime effort, ses jambes parvinrent à faire basculer la chaise en arrière et ce qu’il pensait être une délivrance ruina la dernière once de combativité qui l’habitait. Immobile mais bien vivante, Ilda, assise nue sur le lit, assistait au dernier souffle de son fils.
La vie avait déjà quitté le corps de Tom quand un dernier râle de soulagement signa l’orgasme libérateur de Lucie. Le silence recouvrit la chambre sombre. Une fois encore, le cycle était complet. Elle rassembla ses affaires et prit une douche avant de s’intéresser à nouveau au triste tableau. Ceinturant le cadavre, elle le glissa sur le lit, jusqu’à le poser sur le corps inerte de la vieille dame.
« Tu sais, il n’était pas le premier et il ne sera pas le dernier, hein ? susurra-t-elle à Ilda. Ton cher Tommy était un porc comme les autres à ceci près qu’il aura au moins eu la baise de sa vie avant de claquer. Pour ma part, c’est la première fois que je fais ça avec un public, et j'avoue que c’est plaisant. Non ?» L’aïeule répondit d’un cri muet et un filet de bave coula le long de son menton pour finir sa course dans les cheveux blonds de son fils.
Lucie redressa la chaise pour atteindre l'alarme incendie qu’elle cassa d’un coup de talon. Un sourire aux lèvres, elle alluma une bougie qu’elle fit tomber à côté du lit. Les yeux d’Ilda la suivirent alors qu’un sourire diabolique aux lèvres, elle passait le seuil et refermait la porte sur le fait divers qui animerait bientôt les foules locales.
« Dans un hôtel au bord de l’autoroute A10 a eu lieu, dans la nuit de mardi, un terrible accident. Un jeune homme d’une trentaine d’année, et une dame âgée ont été retrouvés morts dans l’incendie de la chambre où ils dormaient. Les pompiers ont mis près d’une heure pour maîtriser le feu et retrouver les corps calcinés. Une enquête est en cours pour déterminer les causes de la panne du système anti-incendie mais certaines éléments troublants viennent enrichir cette affaire. En effet, les deux corps auraient été retrouvés nus, dans une position indécente, compte tenu des circonstances. Ébats fusionnels qui tournent mal ? Jeux pervers et sadiques fatals ? Une triste histoire dont on n’a pas fini de parler puisque tout porte à croire que les victimes avaient un lien de parenté.
En direct pour le journal de France 1, c’était Catherine Chavez. »