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Agriculture biologique: La science est plus nuancée qu’un flanc de boîte de céréales

J’ai été aimablement reçu à l’émission Médium Large le 19 juillet 2017 pour parler des vertues écologiques couramment allouées à l’agriculture biologique. J’avais pris pas mal de notes, recopiées et épurées dans ce billet.

Posons le problème

L’agriculture est une perturbation d’un écosystème pour le rendre au service de l’humain, exercée dans l’objectif produire suffisamment de nourriture de bonne qualité… tout en perturbant le moins possible l’écosystème dans lequel elle s’insère.

Qu’est-ce qui est perturbé?

Les impacts écologiques de l’agriculture sont nombreux. On peut néanmoins en identifier certains qui sont plus préoccupants, qui dépendent de l’écosystème hôte et, inévitablement, de mon appréciation.

  1. Le territoire alloué à l’agriculture est une ponction d’un territoire qui sans intervention humaine s’organiserait en écosystème naturel. L’agriculture telle que pratiquée actuellement crée des paysages peu diversifiés, où l’on retrouve peu de biodiversité.
  2. Émission de gaz à effet de serre (GES). En agriculture, les gaz à effet de serre les plus importants sont le gaz carbonique (CO2) (carburants, décomposition aérobique de la matière organique), l’oxyde nitreux (N2O) (décomposition aérobique de la matière organique et des fertilisants) et le méthane (CH4) (décomposition anaérobique de la matière organique et éructations bovines).
  3. Eutrophisation. Des nutriments agricoles sont lessivés vers les lacs et rivières et permettent à d’autres espèces de proliférer, principalement des cyanobactéries. Cette prolifération se fait au dépend d’espèces établies.
  4. Érosion des sols. Une partie des sols exposés au vent et aux pluies est exportée des terres agricoles. Les couches de sol s’amincissent plus rapidement que la création de sols par la transformation géochimique de la roche mère.
  5. Pesticides. Les pesticides sont utilisés pour lutter contre les mauvaises herbes (qui occupent l’espace agricole et immobilisent des nutriments sans contribuer à la fonction d’une terre agricole), contre des insectes, contre des champignons, contre des maladies, etc. Ils ont par contre des impacts sur des espèces non ciblées (dont les humains).

Le bio est-il une solution?

Un point positif

Le bio a amené toute une cohorte d’agriculteurs et de consommateurs qui sont soucieux de l’impact écologique de l’agroalimentation, démontrant qu’ils sont près à modifier les pratiques agroenvironnementales. Mais…

Des points faibles

Si on se fie aux flancs de boîtes de cérales bio, le bio réglerait à peu près tous les problèmes de l’agroalimentation. Mais si l’on passe en revue la littérature scientifique où sont comparées les régies biologique et conventionnelle (non-biologique), on s’aperçoit que les prétendues vertus écologiques du bio ne sont pas supportées par la science.

Faible productivité. Probablement le défaut le plus marqué de la régie biologique, sa faible productivité est principalement causée par un manque de nutriments pour les plantes, des déséquilibres nutritifs, un moins bon contrôle des adventices (mauvaises herbes) et des maladies qui affectent les plantes et les animaux. Somme toute les rendements en bio sont équivalents au deux-tiers, voire la moitié de la production en régie conventionnelle. Pour produire autant d’aliments en régie bio, il faut cultiver sur un plus grand territoire alors que:

  1. les terres arables se font de plus en plus rares,
  2. la superficie des terres cultivées stagne
  3. la perte de territoire naturel est la principale cause du déclin de la biodivertsité.

L’agriculture intensive, qui consiste à produire le plus possible sur la plus petite surface possible, devrait être favorisée à son contraire, l’agriculture extensive, qui demande davantage de surface cultivée. Évidemment, l’intensification de l’agriculture devra être en mesure de soutenir la sécurité alimentaire, améliorer ses impacts écologiques et être accompagnée de mesures de biodiversification pour éviter que les aires libérées soient transformées en terrains de golf!

Plus de lessivage des nutriments. Le potentiel d’eutrophisation de l’agriculture bio est supérieur à celui de l’agriculture conventionnelle. L’azote (N) et le phosphore (P) sont des nutriments importants pour toute forme de vie connue, dont les plantes. Ils doivent être ajoutés aux champs pour combler les pertes de nutriments dues à leur exportations lors des récoltes et dues aux pertes par lessivage et autres réactions chimiques dans les sols. Le lessivage entraîne les nutriments vers les lacs et rivières, ce qui est la cause identifiée pour de nombreux cas de manifestation de cyanobactéries, communément appelées algues bleus (qui ne sont en fait pas des algues et qui ne sont pas bleues). Ce phénomène, que l’on appelle “eutrophisation”, perturbe les écosystèmes et nuit à la biodiversité. Or l’utilisation de fertilisant minéraux (engrais chimiques) pour la nutrition des plantes permet de fournir le bon apport nutritif pour les plantes, disponible au bon moment, alors que la matière organique est formée de matière complexe, non uniforme, qui n’est pas directement accessible pour les plantes, souvent disponible au mauvais stade de croissance de la plante, et qui est davantage lessivable… ce qui est problématique au Québec, où l’on a de grands événements de lessivage à l’automne et au printemps. Sources ici et ici.

GES: à peu près égal. En bio, moins carbone de l’atmosphère est séquestré par photosynthèse. La régie bio produit moins de biomasse: la matière organique épandue au champ dégage plus de N2O que les fertilisants minéraux… dont la fabriquation dépend aujourd’hui des hydrocarbures. En somme, les émissions de GES sont à peu près équivalentes pour les deux régies de culture (1, 2, 3). Le hic, c’est que transformer une agriculture intensive en agriculture extensive demande davantage de terres: des sols naturels gorgés de carbone mis en culture vont graduellement perdre de la matière organique. En termes d’énergie nécessaire pour les cultures, il est généralement convenu que la régie bio consomme moins d’énergie, principalement parce que la fabrication de fertilisants azotés est très énergivore. Toutefois, les procédés industriels utilisés pour fabriquer les engrais azoté (Haber-Bosch) sont beaucoup moins énergivores que les engrais verts pour lesquels l’énergie nécessaire pour fixer l’azote (énergie solaire via la photosynthèse) n’est pas prise en compte dans les études comparatives.

Moins de pesticides. Malgré la croyance populaire, les pesticides sont aussi utilisés en régie biologique. L’homologation des pesticides en bio est par ailleurs basée sur leur processus de synthèse, non pas sur leurs impacts sur la santé et l’environnement. En bio, un pesticide doit donc transiter par un organisme vivant, ou exceptionnellement être synthétisé par des processus “traditionnels” (comme le sulfate de cuivre). Or on ne peut pas présumer des impacts d’un pesticide par le processus avec lequel il a été synthétisé. Néanmoins, les indicateurs écotoxicologiques sont en faveur de la régie biologique, plus prompte à utiliser d’autres moyens pour lutter contre les pestes et les mauvaises herbes (comme la destruction mécanique des mauvaises herbes par le travail du sol, l’arrachage manuel ou la lutte biologique). Comme je l’ai mentionné précédemment, cela se fait malheureusement au prix de rendements inférieurs et de coûts de production supérieurs. D’autant plus qu’il peut être préférable d’utiliser un herbicide adéquat, ciblé, à faible impact environnemental pour éviter le travail du sol, qui contribue à déstructurer le sol et favorise l’érosion.

Des problèmes systémiques

Pour être acceptés en régie bio, les nutriments inclus dans les fertilisants doivent préalablement transiter par un organisme vivant, que ce soit sous forme de compost, de fumier, de résidus d’abattage ou d’engrais vert. Or ces nutriments proviennent en bonne partie des fertilisants minéraux des productions conventionnelles, importés sous forme de matière organique provenant de plantes ayant absorbé des engrais chimiques (fertilisants minéraux) ou d’animaux ayant mangé ces plantes. En effet, on a estimé que 20% de l’azote, 70% du phosphore et 50% du potassium utilisés en régie bio proviennent ultimement de la régie non-bio (source ici). Un autre aspect préoccupant, qui devrait en tout cas préoccuper les écologistes en particulier ceux qui comme moi ont des affinités véganes, est la dépendance quasi essentielle du bio envers les produits animaux (fumiers, os, plumes, sang, carapaces, etc.) appliqués comme matières fertilisantes.

Comment réduire son impact écologique?

Consommateurs

Viandes et produits laitiers. Du côté des consommateurs, si on peut identifier un levier pour améliorer notre impact environnemental c’est bien de diminuer notre surconsommation de viandes et produits laitiers, et j’insiste: bio ou non. Je cite la FAO:

“l’élevage est l’une des causes principales des problèmes d’environnement les plus pressants, à savoir le réchauffement de la planète, la dégradation des terres, la pollution de l’atmosphère et des eaux et la perte de biodiversité”, [communiqué].

Dans le monde, “l’élevage occupe 70% de l’ensemble des terrains agricoles”, dont les cultures très peu diversifiées: maïs, soya, canola (par contre les cultures fourragères sont plus riches en biodiversité). L’élevage est responsable de 15% des GES selon les dernières estimations de la FAO. En terme de sécurité alimentaire, un article évoque un scénario extrême d’une population mondiale végétarienne (extrêmement irréaliste, mais tout de même porteur) pourrait nourrir 4 milliards de personnes de plus. Mais changer son alimentation, comme individu, ne changera pas grand chose au bilan environnemental d’une planète: un changement de régime alimentaire est nécessaire à l’échelle sociale. À ce que j’ai pu comprendre la nouvelle mouture du guide alimentaire de Santé Canada proposera justement d’augmenter la proportion d’aliments d’origine végétale (mise à jour, 2019-11-27: c'est bien le cas).

Producteurs

Si écologiquement l’agriculture conventionnelle performe mieux que l’agriculture biologique, ça ne veut pas dire que l’agriculture conventionnelle, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est la voie à suivre. Mais le bio rend difficile voire proscrit l’accès aux leviers nécessaires pour en arriver à une agriculture durable, en particulier les leviers de précision comme la fertilisation de précision, l’utilisation des pesticides les plus appropriés et la génétique de précision rendue possible grâce aux avancées récentes des biotechnologies (OGM). J’ai d’ailleurs tenté de contribuer constructivement au débat sur les OGM via un article dans Le Devoir publié en 2016, intitulé De l’étiquetage à la cruelle inconséquence. Pour se diriger vers une agriculture plus durable, il va falloir payer les agricultrices.teurs pour qu’ils et elles rendent des services écosystémiques (compensation pour les surfaces non cultivées): aménagement de berges, de patches ou de couloirs écologiques.

La science comme point de repère

Si l’agriculture bio ne devrait pas être considérée comme une solution écologique, tout proportion gardée elle n’est pas en ce moment un problème en soi, car elle reste encore une agriculture de niche. Mais on devrait s’inquiéter des initiatives gouvernementales qui comptent sur le bio pour améliorer l’impact écologique de l’agriculture. Pour tendre vers la durabilité en agroalimentaire, il faut plutôt se tourner vers la science et les consensus qui y émergent. À ce titre, on distingue deux types de consensus en science. Il y a d’abord le consensus DE scientifique: c’est bêtement un sondage effectué auprès de scientifiques d’origines diverses. Il répond à la question “Quelle est l’opinion des scientifiques sur …?”. L’avis des scientifiques sur le bio est assez divisé. Mais il s’agit d’un indicateur de tendance, sans plus. Autre type de consensus: le consensus-scientifique (sans le de). Le consensus scientifique émerge des données. Il répond à la question “vers où convergent les évidences?”. En ce qui a trait aux impacts écologiques du bio comparativement au non-bio, un consensus scientifique scientifique clair se dégage:

Les méthodologies des études et les agroécosystèmes sont très diversifiés. Il y a tout plein de cas particuliers, mais que le critère “bio” n’est pas à lui seul un élément permettant de juger de l’impact écologique d’un aliment.

Je ne vous demande évidemment pas de me croire sur parole. Si vous avez des doutes, je vous invite à consulter les liens, à commenter ici ou à me contacter sur Twitter.

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