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Est-ce que 40% des espèces d’insectes risquent l’extinction d’ici “quelques décennies” à cause de l’agriculture intensive?


Source: @essicolo

Je préfère garder en prémisse que la biodiversité a une valeur intrinsèque, qu’elle n’a pas besoin d’être justifiée par quoi que ce soit d’autre. La chute de la biodiversité chez les insectes est grave, d’autant plus que les réseaux trophiques pourraient être affectés en cascade. L’article Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers (Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019) sonne l’alarme: 40% des espèces d’insectes risquent l’extinction d’ici “quelques décennies”. Mais 40%, dans quelques décennies, vraiment?

Voyons voir.

Pas tous les insectes

La recherche compile des résultats de plusieurs articles scientifiques. Pour la cueillette d’articles, les chercheurs ont utilisé les mots-clé [insect*] AND [declin*] AND [survey]. D'abord, le terme insect est une classe taxonomique qui n'est pas nécessairement citée dans des articles scientifiques voués à l'analyse spécifique d'une espèce – un biais susceptible d'écarter des études importantes. Puis, en ne retenant que les articles scientifiques à propos du déclin, la conclusion est implicite. Les articles considérés sont issus de recherches menées presque exclusivement en Europe et aux États-Unis, dans des biomes forêts feuillues et de prairies (figure 1 de Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019, ci-dessous), dont les tendances sont projetées sur des biomes hôtes de populations d'insectes très différents (forêts tropicales, boréales, savanes, etc.).


Sánchez-Bayo, F., & Wyckhuys, K. A. G. (2019). Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers. Biological Conservation, 232, 8–27. doi:10.1016/j.biocon.2019.01.020, Figure 1.

La proportion de 40% en déclin provient ainsi de la compilation de certaines espèces étudiées reconnues pour être en déclin, et ce, dans les biomes d'Europe et du centre des USA. Et le d'ici quelques décennies provient d'autres articles, qui sont eux-mêmes des revues de d'autres articles, et qui semblent ne prétendre rien de tel... Le grand titre suscite l'inquiétude, mais n'est pas tiré d'une simulation en bonne et due forme. Un 40% à prendre avec des pincettes, des gants blancs et de la parcimonie.

L’expansion… de l’intensification

Les auteurs identifient l’expansion de l’agriculture intensive comme facteur principal du déclin. Nuance ici. L’intensification, qui consiste à produire davantage par surface cultivée, permet surtout (mais pas toujours) de produire plus, non pas de réduire les surface cultivées pour retransformer en écosystèmes des territoires, des bandes ou des îlots. L’augmentation de la production est essentielle pour libérer le monde de la faim. Malheureusement, les progrès techniques sont largement utilisés pour augmenter la marge de manœuvre de l’inefficacité des systèmes agroalimentaires en vouant toujours davantage de place à l’alimentation animale.

Repenser les pratiques

Les auteurs proposent de “repenser les pratiques agricoles actuelles”, en particulier l’utilisation “implacable des pesticides synthétiques”. Les pesticides (naturels ou synthétiques, la distinction est factice) sont nécessaires pour protéger les cultures, mais ils sont largement surutilisés. Bien que la lutte intégrée soit sur toutes les lèvres, trop peu est fait en réalité pour réduire les impacts écologiques des pesticides. Pourtant, en ne s’arrêtant que sur la production agricole, les auteurs négligent que le levier le plus important n’est pas celui des changements de pratiques, mais celui du changements de régime alimentaire. Ainsi le fardeau écologique est d’abord sur les épaules des consommateurs, dont les habitudes sont trop souvent considérées comme des états de fait dans les initiatives de transition écologique.

Et alors?

L’article en question est un très bon travail de synthèse sur les espèces et les zones répertoriées. La synthèse porte sur les lépidoptères (papillons), hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis), diptères (mouches), coléoptères, hémiptères (cigales, pucerons, etc.), orthoptères (sauterelles) et odonates (libellules, demoiselles). Les causes de leur déclin sont nombreuses et souvent liée à l'utilisation du territoire. Dans l’Anthropocène, il faudra concevoir des milieux ruraux et urbains comme des moteurs de biodiversité plutôt que des zones qui la menacent. S’inquiéter? oui. Agir? absolument, en utilisant les leviers les plus importants à notre disposition.

#biodiversity #fr