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OGM: de l’étiquetage à la cruelle inconséquence

Texte publié dans Le Devoir, le samedi 30 avril 2016.

Pour plusieurs, le “droit de savoir ce que l’on mange” impliquerait l’étiquetage obligatoire des produits alimentaires issus du génie génétique, communément appelés OGM (organismes génétiquement modifiés). La promotion de l’étiquetage est aussi une occasion d’attirer l’attention sur leurs effets allégués sur la santé et l’environnement. Or, l’approche des groupes anti-OGM diverge radicalement de l’ensemble des connaissances scientifiques du domaine et est la source de graves conséquences sociales et écologiques.

crédit photo: Yellow field, de Susanne Nilsson

La modification génétique

Pratiquée par les humains depuis plus de 10 000 ans, la modification génétique est un processus indissociable de la domestication du vivant. Même sans en saisir les mécanismes, les humains ont su sélectionner à leur avantage des plantes et animaux ayant subi des mutations, insertions ou délétions de la séquence d’ADN, qui leur conféraient des bénéfices d’un point de vue agroalimentaire.

Depuis vingt ans, les biotechnologies ont graduellement fait passer la modification génétique du domaine de l’artisanat à celui de l’ingénierie : elles permettent aujourd’hui un travail de haute précision en vue d’obtenir en peu de temps des résultats bien plus prévisibles. Une étude récente confirme que les biotechnologies ont permis d’intensifier les productions (réduisant ainsi l’impact écologique de l’agriculture), de diminuer l’utilisation des pesticides et d’augmenter les revenus des producteurs. Elles ont également eu un impact favorable sur les rotations des cultures, la diversification des productions, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la qualité des sols, la qualité nutritionnelle et la durée de conservation des aliments ainsi que la résistance aux intempéries et aux maladies.

Des risques ?

Les OGM sont néanmoins sujets à controverse. Les milieux écologistes sont particulièrement rébarbatifs envers eux, et ce, pour des raisons qui sont à ce point mal avisées qu’elles nuisent au déploiement d’une agriculture plus écoresponsable et mieux outillée pour assurer la sécurité alimentaire.

Issus d’une myriade de processus et destinés à une myriade de fonctions, les produits considérés comme OGM ne peuvent pas être associés à une caractéristique commune. Ainsi, les généralisations sur leurs effets négatifs allégués sont souvent erronées. En effet, une récente étude synthétisant 10 ans de recherche sur les OGM à travers près de 1800 publications n’a décelé aucune évidence d’effets nocifs sur la santé humaine liée leur consommation. Une autre étude similaire, elle aussi étalée sur 10 ans, conclut que la littérature scientifique ne rapporte aucune évidence d’effets écologiques nocifs liés aux cultures OGM, notamment sur la biodiversité, qui au contraire est parfois favorisée.

Graves conséquences

Malgré une dissonance marquée avec l’état des connaissances actuelles, les positions véhiculées par les mouvements anti-OGM portent dans l’opinion publique. Selon un récent sondage mené aux États-Unis, 88% des scientifiques sont d’avis que les OGM sont sécuritaires (un consensus équivalent à celui en faveur de l’origine humaine des changements climatique) contre 37% de la population. Du coup, la population est généralement favorable à l’étiquetage obligatoire, ce qui selon les scientifiques risque plutôt d’induire le public en erreur.

Au Canada, l’introduction de nouvelles variétés ou espèces — issues ou non du génie génétique — fait l’objet d’analyses, d’essais et de suivis sur la santé et l’environnement. Sachant que les règlementations nous assurent que les produits agroalimentaires sont sains, on peut s’interroger sur l’utilité d’un étiquetage obligatoire avertissant les consommateurs d’un danger inexistant, si ce n’est pour susciter de la méfiance. On pourrait néanmoins espérer qu’un étiquetage éventuel permette, par transparence, de regagner la confiance du public. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé en Europe, où les commerçants ont souvent retiré des tablettes des produits étiquetés OGM, privant ainsi les cultures de bénéfices considérables.

Les améliorations obtenues grâces aux biotechnologies sont d’autant plus grandes lorsqu’on s’éloigne du monde industrialisé, où le moindre bénéfice a des effets substantiels sur la qualité de vie, et où les pressions politiques menant au blocage des OGM sont cruellement inconséquentes. Ainsi restreint-on le déploiement de cultures plus résistantes aux maladies et aux intempéries, causant des pertes alimentaires majeures, ou celui du riz doré qui pourrait combler les besoins en vitamine A de millions d’enfants, dont la carence peut entrainer la cécité ou la mort. Enfin, d’innombrables drames humains sont causés par d’ignobles politiques de refus de lots d’aide alimentaire d’urgence contenant des OGM.

Incontournables

L’insécurité alimentaire, les déficits nutritionnels, la dégradation des sols, les changements climatiques, la chute de la biodiversité, la surutilisation de pesticides, la concentration des moyens de production et de distribution ainsi que le brevetage excessif du vivant sont tous des maux couramment attribués aux OGM, mais qui sont transversaux à tous les domaines de l’agriculture. D’ici trente ans nous devrons presque doubler la production alimentaire du monde pour combler nos besoins, et ce, dans un contexte de changements climatiques et de fragilisation des écosystèmes.

La diminution drastique des coûts de séquençage de l’ADN au cours de la dernière décennie amène une meilleure connaissance des génomes ainsi que le développement de nouveaux outils plus raffinés pour développer de nouvelles variétés. Les biotechnologies font partie de notre trousse d’outils pour définir une agriculture menant vers une sécurité alimentaire accrue et un développement plus écoresponsable.

Serge-Étienne Parent
Ingénieur écologue, Ph.D.
Professionnel de recherche au département des sols et de génie agroalimentaire de l’Université Laval

Maxime Bastien
Biologiste moléculaire, Ph.D.
Professionnel de recherche au département de phytologie de l’Université Laval

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