nous sommes
mince ruisseau
eau vive à peine
faible miroir
bien peu de fond
eau venue de nulle part
qui semble aller au hasard
mais nous savons où est la pente
où pouvoir disparaître
ni ronflement de torrent
ni fracas de déversoir
le ruisseau ne chante pas
il chuinte et marmonne
glousse et pépie
entre ses bords sans écho
au fil de l'eau notre filet de voix
nous sommes
eau ridée d'un lent tourbillon
qui longuement rêve en rond
avant de partir invisible
vers une autre courbe
dans l'ombre d'une branche basse
qui frôle sa surface
mince ruisseau
faible miroir
bien peu de fond
on nous trouve partout
nous sommes des cailloux
cailloux du chemin des chantiers
des talus des remblais
du fond du ruisseau et du bas du muret
à demi enfoncés dans la boue du sentier
nous sommes des cailloux
cailloux gris cailloux blancs
parfois noirs ou brillants de mica éclatant
ternes le plus souvent
sans même une couleur
inertes et discrets
nous glissons sous le pied
aussitôt oubliés
nul ne se souvient
des rochers monstrueux
à l'orgueil vaincu
par la patience rongeuse des milliers d'années
jusqu'à n'être plus que nous
humbles cailloux
ignorés du monde
seuls nous regardent les yeux qui savent
inventer pour nous un destin de caillou