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Face à l'IA : l'humain, l'artisanat et les castes de demain

L'intelligence artificielle est avant tout la mécanisation de l'intelligence humaine. Si elle ne sonnera pas le glas de notre créativité, elle pourrait paradoxalement nous pousser à retrouver notre essence humaine. Mais elle menace surtout de fissurer nos sociétés en trois castes distinctes : les oisifs dépendants, les travailleurs dépendants et les oisifs dominants.

L'intelligence artificielle n'est rien d'autre que la mécanisation de l'intelligence humaine. Elle ne la remplacera pas. Chaque activité humaine qui a été mécanisée à son pendant « artisanal » et l'homme préférera toujours ce qui a été fait de sa main plutôt que par une machine :

- A l'agriculture mécanisée répond l'agriculture biologique ;

- A l'industrie mécanisée répond l'artisanat ;

- A la cuisine mécanisée répond le « fait maison » ;

- Aux déplacements mécanisés répondent les déplacements « doux ».

Internet et le livre numérique ont-il tué le livre papier ? Non. 90% des revenus des éditeurs est constitué de l'édition papier. Le synthétiseur a-t-il remplacé les musiciens et tous les instruments qu'il imite ? Non. L'IA va détruire des emplois, mais en créera d’autres. Paradoxalement, l'IA pourrait ainsi nous rendre plus humains en nous permettant de nous concentrer sur le relationnel, l’émotionnel et l’artisanal, laissant les machines faire le reste (tant qu'elles demeurent sous notre contrôle), en créant de nouveaux métiers ou en en valorisant d'autres :

- supervision et maintenance des systèmes d'IA : Des ingénieurs en IA, des éthiciens de l'IA, des auditeurs d'algorithmes ;

- créativité et innovation : des artistes, des designers, des chercheurs, des entrepreneurs, dont le travail sera augmenté par l'IA plutôt que remplacé ;

-métiers de l'artisanat : tout ce qui est fait par la main de l'homme, de la gastronomie à la restauration d'objets anciens ;

- métiers relationnels et émotionnels : les soins aux personnes âgées, l'éducation personnalisée, la psychothérapie, les métiers de l'artisanat ou de la gastronomie, où la dimension humaine est irremplaçable ;

-compétences hybrides : des rôles qui combinent une expertise humaine avec la capacité à interagir et à tirer parti des systèmes d'IA ;

-etc.

L’avènement de trois castes

Pour autant, c'est la structure de notre société qui risque d'être bouleversée avec l'avènement de trois castes distinctes, dont on perçoit déjà l'existence :

LES OISIFS DÉPENDANTS (70% de la population)

LES TRAVAILLEURS DÉPENDANTS (25% de la population)

LES OISIFS DOMINANTS (5% de la population)

La caste des oisifs dépendants sera majoritaire. Elle correspondra à la population la plus nombreuse, dont le travail aura été largement automatisé par la machine puis par l'IA. Comme c’est déjà allègrement le cas aujourd’hui avec la dépendance aux aides sociales, cette caste dépendra majoritairement de revenus publics (potentiellement un revenu universel ou d'autres formes d'assistance). Le mode de vie de cette population à l’oisiveté forcée, sera accès sur la mise sous tutelle sociale, personnelle, culturelle, professionnelle et émotionnelle. Leur oisiveté sera contrôlée par l’accès massif et l’incitation permanente au divertissement passif (médias virtuels, jeux, réseaux sociaux) pour maintenir le calme et la conformité tout en leur donnant l’illusion d’une utilité ou d’une vie sociale. Dans un tel système, cette caste dépendante constituera un risque pour la structure de notre société démocratique. En effet, une population majoritaire et financièrement dépendante de l'État devient extrêmement vulnérable au chantage politique. Cette majorité est votante, elle est au cœur du système démocratique. Les dirigeants pourraient donc menacer de couper ou de réduire les aides si cette majorité oisive ne se conforme pas à leurs volonté et décisions. Cela maintiendrait une démocratie de façade, où la liberté de choix et d'expression apparentes serait gravement compromise par la peur de la précarité. L'absence de participation active et significative à la vie économique pourrait aussi éroder le sentiment de citoyenneté et de responsabilité, sans pour autant donner à cette caste endormie de contre-pouvoir.

La caste des travailleurs dépendants sera une caste intermédiaire. Ses membres seront, en quelque sorte, les opérateurs du Système. Cette catégorie de la population regroupera ceux qui effectuent les tâches que l'IA ne peut pas encore faire efficacement, ou qui requièrent une supervision humaine, des compétences interpersonnelles spécifiques, ou un travail physique qu’il n'est pas rentable d’automatiser. Elle comprendra également tous les artisans du bonheur de la caste supérieur (métiers de bouche, du loisir, des voyages, etc.). Les membres de cette caste seront les « employés » du système, réalisant le « sale boulot » ou les taches de liaison, d'entretien, de surveillance des IA, et les services personnels pour la caste supérieure. Néanmoins, leur situation sera meilleure que celle de la caste des oisifs dépendants à plusieurs titres, mais leur niveau de vie amélioré resterait précaire et leur emploi peu sécurisé. Par ailleurs, la peur de (re)tomber dans la caste inférieure serait un puissant levier de contrôle pour la caste dominante. Cela les rendrait très malléables et peu enclins à la contestation, car toute rébellion pourrait signifier la perte de leur statut précaire et la dépendance totale aux aides publiques. Par conséquent, cette caste manipulée pourrait être sujette à une profonde frustration, car elle serait constamment sous la pression d'une performance irréprochable tout en étant consciente de son statut subalterne et de la menace constante de l'automatisation de son propre emploi.

Enfin, la caste des oisifs dominants aura deux caractéristiques principales : ses membres seront les maîtres de l’IA et de la richesse. Ce sera une élite restreinte qui possédera et contrôlera les infrastructures de l'IA, les algorithmes, les capitaux et les ressources. Son accès sera très limité, fonctionnant comme une forme de noblesse à l’entrisme hyper développé. Néanmoins, pour maintenir l’espoir d’une meilleure situation sociale aux membres des castes inférieur et garantir ainsi la pérennité et la sécurité de la caste dominante, des voies d’accès à cette élite existeront et la promotion autour de cet espoir de vie meilleure servira de leitmotiv sur la caste inférieure, pour en maintenir l’ordre et la productivité. Cette caste aurait accès à toutes les avancées technologiques pour son propre bénéfice : longévité accrue (grâce à des soins médicaux personnalisés et des technologies d'augmentation), éducation d'élite, loisirs luxueux, et un pouvoir politique et économique quasi absolu. Leur « travail » se limiterait à des prises de décision, aidés en cela par des membres de la caste inférieure, serait de la haute stratégie, de la gouvernance, de la recherche fondamentale, de la vision long-terme, ou de la gestion de leurs immenses fortunes. Il n'y aurait aucune pénibilité ou contrainte, seulement la « charge » du pouvoir. Le risque majeur pour la société serait une déconnexion totale avec la réalité des deux autres castes, conduisant à des décisions potentiellement tyranniques ou à une indifférence face aux souffrances de la majorité.

En réalité, l’observateur attentif constatera que ces trois castes existent déjà. L’avènement de l’IA ne fera qu’exacerber et accélérer leurs distinction, fonctionnement et institutionnalisation.

#Journal, par Grégory Roose