carnet de voyage

Que m'arrive t-il ?

Dialogue intérieur de la bergère

Il y a de folles histoires qui ne peuvent se passer de mots. Celle-ci en est une et c’est la plus sensée qui ne se vive en ce monde. Le plus insensé est de ne pas laisser la folie s’inviter ; pire encore, est de lui fermer la porte quand elle s’est pointée. La Vie a le visage de l’invité surprise ; celui que l’on n’attendait pas, ou plutôt celui qu’on a toujours cherché sans même savoir qu’on le cherchait. Celui pour lequel on a prié, mais auquel on n’osait pas croire pour être sûre de n’être déçu. Le vivant ressemble à ce qui vient bousculer, à ce qui chamboule tout en silence, à ce qui bouleverse de la tête aux pieds, des pieds à la tête jusqu’à la pointe des cheveux.

Comment imaginer que la vie ait pu être autrement. Tout ce qui a existé jusque-là semble être pâle copie d’une tentative d’existence. En un instant, tout a été emporté pour ouvrir sur une clarté inimaginable. Un bleu azur indélébile qui a tout coloré; le ciel, la terre, la mer, nos corps, nos cœurs, nos visages béats… Le temps n’en a pas terminé de s’arrêter. Le temps est avec nous. Il nous a fait une place au soleil et il rit de voir tant de bonheur. Il a ouvert un parapluie au-dessus de nos têtes pour recueillir les arc-en -ciel et nous les offrir en cadeau.

Mon corps s’est fait offrande pour recevoir la Vie sous la pluie de la fin d’été. Sous l’abri grand ouvert, le vent s’est engouffré pour camoufler nos corps comme on cache un trésor. L’orage, son complice a déployé ses ailes et couvert le silence pour nous laisser l’aisance de s’aimer secrètement.

La joie s’est installée presque sans un bruit, mais pour qui sait tendre l’oreille, elle s’est mise à chanter une douce mélopée ; elle s’est mise à scander un chant tribal habité; elle s'est mise à murmurer une mélodie d’un autre monde comme venue du fin fond du cosmos, ou des profondeurs océanes. Un chant que personne n’avait entendu jusque-là ; Un chant naît dans l'instant que personne ne pouvait plus ignorer.

C'est l'océan qui a vu naître notre amour. Il a éclos sous les étoiles après une longue gestation. Des années à grandir à l’abri des yeux, mais pas à l’abri des cœurs. Nos cœurs lui avaient déjà fait une place. Seule ma tête s’en était échappé par peur de voir mon sang se vider de la place qu’il avait réservée. Un cœur qui saigne, je l’ai déjà vécu. Je sais à quel point l’hémorragie est difficile à endiguer. Et à trop perdre de sang, on ne sait combien de temps la Vie circulera encore dans nos veines.

Pourtant, la Vie peine à assurer sa présence tant que l’on protège le cœur…

Le corps sait l’essentiel. Quand le cosmos cherche à étendre sa conscience, c’est par lui qu’il passe. Il sait à quel point on ne peut guère lui résister. L’appel du corps est puissant et il faut bien cela pour que l’humain entende ces mots venus du plus profond des cieux. L’urgence est à l’Amour, à la conscience ultime, à l’ouverture au Tout. Il s’agit de l’entendre. Et pour que je l’entende, il a fallu que le détonateur soit assourdissant.

Je n’ai plus pu détourner mon regard, écouter mes terreurs. J’ai été soufflée, incapable de résister; j’ai capitulé, abdiqué.

Délicieux abandon de Soi qui donne à devenir océan comme le fleuve rejoint la mer.

Délicieuses eaux du dedans qui se donnent à la Vie pour honorer son flux.

Rien n’a tant d’importance que ce qui se vit là. L’Amour s’offre ainsi du commun des mortels à l’infinie Présence. Les corps jubilent, les cœurs s’enflamment, ou peut-être est-ce les cœurs qui jubilent et les corps qui s’enflamment. La chaleur est presque brûlure, mais tout autre qu’enfer. Cette brûlure, loin de consumer, est féconde. Elle est creuset alchimique et tout à la fois alchimie. Elle est l’espace de la transformation et la transformation elle-même. Elle est ouverture, porte à l’aube de la Vastitude sur le chemin initiatique de la Vie.

Le tambour bat dans mes veines; mon ventre se réjouit de l’invisible connection. Et je prends patience en l’instant comme d’autres prennent appui sur un socle. Nos êtres au-delà des espaces se trouvent enlacés et ne se délacent que pour mieux se rapprocher. Je me régale du moment où je mêlerai mes cheveux aux tiens.