Capitalisme de surveillance : 9 principes pour ne pas capituler
principe #1 : La reconquête de la temporalité longue
Le capitalisme 3.0 fonctionne avant tout comme une machine à détruire le temps – non pas à l’accélérer simplement, mais à le fragmenter, le liquéfier, le rendre incompatible avec les processus d’individuation humaine. Face à cette disruption permanente, réinstaurer des temporalités longues, instaurer des temps de latence volontaire – retarder l’envoi des messages, programmer les mises à jour nocturnes, répondre après réflexion. Cela passe par des rituels quotidiens de déconnexion, mais surtout par la cultivation de pratiques qui exigent la durée : l’écriture manuscrite, la lecture profonde, le travail manuel, la contemplation. Ces pratiques ne sont pas des nostalgies mais des technologies de réappropriation du temps vécu contre le temps-marchandise. n’est pas inefficacité mais sabotage doux de la machine accélérationniste.
principe #2 : La création de milieux associés
Contre l’atomisation programmée et la solitude augmentée des réseaux sociaux, reconstituer ce que Stiegler appelait des “milieux associés” – des espaces où la co-individuation psychique et collective reste possible. Cercles de lecture, ateliers de création, groupes d’étude, jardins partagés : ces formes collectives ne sont pas des refuges mais des laboratoires où s’inventent d’autres modes de relation. Ils permettent la confrontation des rétentions secondaires, la transmission intergénérationnelle, la création de savoirs non-marchands.
principe #3 : L’attention comme pratique politique
L’attention n’est plus une simple faculté cognitive mais un champ de bataille. Nous avons appris que la cultiver – par la méditation, l’observation prolongée, l’écoute profonde – constitue un acte de résistance fondamental. Il s’agit de développer ce que nous avons appelé une “solitude cognitive” : non pas l’isolement mais la capacité à maintenir un espace intérieur non-colonisé où la pensée peut se déployer sans être constamment sollicitée. Cette attention retrouvée permet de distinguer entre les sollicitations parasites et les véritables appels du monde.
principe #4 : La rematérialisation de l’existence
Face à la dématérialisation généralisée, réinvestir la matérialité. Cuisiner, jardiner, réparer, fabriquer : ces gestes réactivent le lien entre la main et l’esprit, entre le corps et le monde. Ils constituent des savoirs-faire qui échappent à la prolétarisation généralisée et maintiennent vivante notre capacité à transformer directement notre environnement. Cette rematérialisation n’est pas un retour en arrière mais une réappropriation de notre puissance d’agir.
principe #5 : L’habitation poétique de la technique
Plutôt que le rejet technophobe ou l’adhésion technophile, habiter poétiquement la technique. Cela signifie utiliser les outils numériques de manière sélective et créative, en privilégiant les logiciels libres, les protocoles décentralisés, les usages détournés. L’IA elle-même peut devenir un partenaire de pensée si nous maintenons une position active et critique. Il s’agit d’expérimenter avec la technique des modes d’existence inédits plutôt que de subir ses automatismes.
principe #6 : La création contre la reproduction
Face aux IA génératives qui recombinent l’existant à l’infini, maintenir vivace la puissance de création implique d’accepter l’échec, l’imperfection, le tâtonnement. Privilégier les pratiques qui engagent l’affect, l’imprévisible, tout ce qui résiste à la modélisation statistique. Cette création n’est pas forcément artistique : elle peut être relationnelle, conceptuelle, existentielle. L’essentiel est de maintenir ouverte la possibilité du nouveau contre la reproduction du même.
principe #7 : Les zones d’autonomie temporaire
Créer, ici et maintenant, des brèches dans le continuum marchand – ce que Hakim Bey appelait des “zones d’autonomie temporaire” – des espaces-temps où d’autres logiques prévalent, où s’expérimentent d’autres formes de vie : une soirée sans téléphones, un repas partagé, une marche collective, une bibliothèque sauvage. Mieux : créer des brèches dans le continuum productif – dans les zones de la reproduction du capital : débrayages, grèves, blocages, manifestations. Car, au fond, tout en dépend.
principe #8 : La transmission comme résistance
Dans un monde qui détruit systématiquement les liens intergénérationnels, transmettre devient un acte de résistance. Partager des savoirs, des récits, des techniques avec différentes générations reconstitue les circuits longs de la mémoire collective contre l’hypermnésie industrielle. Cette transmission n’est pas conservation nostalgique mais activation du passé dans le présent pour ouvrir des futurs possibles.
principe #9 : L’alliance avec les altérités non-humaines
Au-delà du face-à-face stérile homme-machine, élargir nos alliances. Le vivant, dans sa multiplicité, offre d’autres temporalités, d’autres logiques, d’autres modes d’existence qui décentrent l’hégémonie algorithmique. Observer la croissance d’une plante, suivre les migrations des oiseaux, noter les cycles lunaires : ces attentions aux rythmes non-humains créent des contrepoints au temps accéléré des réseaux. Les rituels quotidiens de symbiose – parler à ses plantes, observer les formations nuageuses, écouter le vent – ne sont pas des lubies new age mais des techniques de désynchronisation avec le temps-machine. Privilégier les technologies douces qui prolongent le corps sans l’annuler – le carnet, le vélo, l’instrument acoustique – c’est maintenir vivante une relation technique qui n’est pas domination mais collaboration avec la matière.