Ne pas capituler

Guerre généralisée & fabrication industrielle du consentement

L’actuelle manipulation de l'opinion publique suit un schéma classique mais d'une ampleur inédite. La présentation manichéenne du conflit – l'Occident défensif contre la Russie agressive – occulte systématiquement les responsabilités occidentales dans l'escalade. Cette déformation systématique de la réalité n'est pas accidentelle : elle est indispensable pour faire accepter aux populations les sacrifices qu'on leur impose.

Les chiffres sont éloquents et rarement mis en perspective dans les médias dominants. Les dépenses militaires de l’UE sont passées de 343 milliards en 2024 à 381 milliards en 2025, avec pour ambition d’atteindre 630 milliards, ce qui représente 3,5% du PIB européen. Les budgets militaires cumulés de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne (235 milliards de dollars) dépassent effectivement largement celui de la Russie (149 milliards). Avec les États-Unis et leurs mille milliards de dollars, la disproportion devient écrasante.

Pourtant, le récit dominant présente invariablement l'Occident comme étant en position de faiblesse face à la “menace russe”.

La “coalition des volontaires” réunie à Paris (4 septembre 2025) illustre parfaitement cette inversion de la réalité. 26 pays, incluant deux puissances nucléaires, s'engageant ouvertement à soutenir militairement l'Ukraine “sur terre, sur mer et dans les airs” – c'est objectivement un acte de menace collective contre la Russie. Mais cette coalition offensive est présentée comme défensive, cette escalade comme de la désescalade, cette préparation à la guerre comme un processus de paix.

Trump incarne à la perfection cette schizophrénie calculée. Il se drape dans les habits du pacificateur tout en proposant 100 milliards de dollars d'armes américaines pour l'Ukraine. Sa déclaration sur l'abattage des avions russes révèle la brutalité sous le vernis diplomatique. Mais surtout, son argumentaire commercial – acheter américain plutôt qu'européen – dévoile la dimension économique fondamentale de cette guerre : un gigantesque marché pour le complexe militaro-industriel.

Cette guerre économique entre “alliés” occidentaux pour les marchés de l'armement alimente paradoxalement l'escalade militaire. Chaque capitaliste national pousse à la surenchère pour placer ses propres systèmes d'armes, créant une dynamique d'escalade qui échappe à tout contrôle rationnel.

On se souvient des bidonnages des États-Unis sur l'Irak en 2003… mais la différence d'échelle est vertigineuse. Les “armes de destruction massive” de Saddam Hussein étaient un mensonge circonscrit visant un pays du tiers-monde isolé. Aujourd'hui, c'est l'ensemble du système médiatique occidental qui martèle quotidiennement la nécessité de se préparer à affronter les 2e et 3e puissances militaires mondiales. La fabrication du consentement opère à une échelle industrielle, avec une synchronisation parfaite entre médias (et leurs éditocrates), gouvernements et think tanks.

Cette préparation idéologique vise un double objectif : faire accepter l'austérité sociale au nom de l'effort de guerre, et conditionner psychologiquement les populations à l'éventualité d'un conflit direct. Les exercices de défense civile, les débats sur la conscription, les simulations de “guerre de haute intensité” – tout concourt à normaliser l'idée qu'une guerre majeure est non seulement possible mais probable, voire inévitable.

Le plus tragique est que cette prophétie autoréalisatrice fonctionne. À force de préparer la guerre, de s’armer pour la guerre, de penser en termes de guerre, les dirigeants créent les conditions objectives de son déclenchement. Chaque mesure “défensive” d’un camp justifie une escalade “préventive” de l’autre, dans une spirale qui ne peut mener qu’à la catastrophe.

Cette dynamique n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une logique capitaliste profondément ancrée. Comme l’a montré Lénine dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, la fusion du capital industriel, bancaire et étatique transforme la guerre en un moteur économique : les profits des trusts d’armement (Krupp hier, Lockheed Martin aujourd’hui) dépendent de la course aux armements et des conflits. Rosa Luxemburg avait déjà souligné que le militarisme permet d’absorber les surplus de production et de relancer l’accumulation par la destruction créatrice. Aujourd’hui, le complexe militaro-industriel fait de la guerre une industrie permanente, où les États garantissent des commandes publiques et où les conflits locaux (Ukraine, Moyen-Orient) deviennent des marchés lucratifs.

Pire : cette économie de guerre s’auto-entretient. Les dépenses militaires stimulent des secteurs entiers (aéronautique, numérique), tandis que la propagande de la peur (terrorisme, “guerre de haute intensité”) légitime chaque nouvelle escalade. Comme le notait Naomi Klein, les crises et les guerres sont même exploitées pour imposer des réformes néolibérales ou contrôler des ressources stratégiques. Ainsi, chaque “mesure défensive” – sanctions, alliances militaires, exercices de mobilisation – nourrit une logique de profit qui rend la paix structurellement instable.

Face à cette machine, la première résistance est de rétablir les faits, de nommer les responsabilités réelles, de refuser le récit dominant. Mais au-delà, c'est la logique même du système qui produit la guerre qu'il faut contester. Car tant que les profits du capital dépendront de la production d'armes et de la conquête de marchés, les peuples seront condamnés à servir de chair à canon pour des intérêts qui ne sont pas les leurs.