Ne pas capituler

La jeunesse, chair à canon des GAFAM

Dans sa course effrénée aux données, le capitalisme de surveillance exploite la jeunesse, la transformant en « chair à canon » malléable et profitable. Ce phénomène n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une stratégie délibérée : les grandes plateformes numériques ont identifié les jeunes comme la ressource la plus précieuse et la plus vulnérable de l’économie de l’attention et agissent en véritables prédateurs, tirant parti de la neurobiologie du développement adolescent et d’une ingénierie comportementale sophistiquée pour les enrôler sans vergogne.

Le cerveau adolescent est, en effet, une proie parfaite pour les géants du numérique. Son immaturité – un cortex préfrontal peu développé pour le contrôle des impulsions, associé à un système de récompense (le circuit dopaminergique) hyper-réactif – crée une vulnérabilité psychologique et neurologique dont les plateformes profitent allègrement. Chaque « like », chaque notification et chaque « scroll » infini agit comme une récompense imprévisible, activant un circuit de dépendance similaire à celui des machines à sous. C’est ainsi que les jeunes deviennent un laboratoire vivant, où les algorithmes de captation d’attention sont testés, affinés et déployés à grande échelle.

Ces plateformes ont su transformer la quête d’identité et de validation sociale, si forte à cet âge, en un processus « bankable ». Les jeunes apprennent à quantifier leur valeur en likes et en followers, une course sans fin qui génère une masse colossale de données comportementales. Ces données, que la sociologue Shoshana Zuboff appelle le « surplus comportemental », deviennent la matière première d’un marché de la prédiction où le comportement humain est analysé, influencé et vendu au plus offrant. En d’autres termes, les jeunes ne sont pas seulement les utilisateurs, ils sont le produit.

Le cynisme de ces plateformes est d’autant plus flagrant qu’il s’accompagne d’une façade de responsabilité. Elles proposent des « outils de bien-être numérique » et des modes de contrôle parental qui, dans les faits, ne sont que des ajustements cosmétiques. Ces options, souvent « opt-in » (nécessitant une activation manuelle), ne remettent jamais en cause le design par défaut, qui lui est toujours optimisé pour la capture d’attention maximale.

La réalité est que l’industrie connaît bien les dégâts qu’elle cause. Des études et des enquêtes internes ont révélé que les entreprises étaient parfaitement conscientes des corrélations entre l’usage problématique de leurs applications et des troubles comme l’anxiété, la dépression ou les troubles du sommeil chez les jeunes. Pourtant, l’objectif reste le même : maximiser l’engagement, quel qu’en soit le coût humain. Les amendes, aussi importantes soient-elles, sont souvent perçues comme un simple coût d’exploitation par rapport aux profits générés.

Naturellement, cette prédation numérique a des conséquences profondes qui dépassent largement le plan individuel. Elle érode la capacité de concentration profonde, nourrit la désinformation et la polarisation politique, et, plus fondamentalement, menace l’autonomie et le libre arbitre qui sont les fondements de la démocratie. Le véritable enjeu n’est donc pas seulement de protéger les jeunes des excès du numérique, mais de redéfinir les règles du jeu pour que la technologie redevienne un outil d’émancipation et non d’exploitation. En somme, l’avenir dépend de notre capacité collective à réguler avec fermeté, à éduquer massivement, et à soutenir des modèles alternatifs qui placent le bien-être humain au-dessus du profit.

A moins qu’il ne soit déjà trop tard ?