Retour d'expérience concernant le navigateur web Brave
🇫🇷 – mardi 23 août 2022
Mots clés : #Brave, #privacy, #ViePrivée, #web, #cryptomonnaies
Un peu de contexte
En 2016 Brendan Eich (créateur de JavaScript, cofondateur de la Mozilla Foundation, cocréateur du langage de programmation Rust) lançait son nouveau projet du moment : un navigateur web respectueux de la vie privée et voulant redéfinir le modèle économique du web bien sclérosé par les capitalismes de la donnée personnelle, de l'attention et de la publicité. En plus de 20 ans d'existence, le web a largement été bouffé par la publicité à tout va, les régies publicitaires sans scrupules, et les piliers du web et du numérique plus généralement : GAFAM, NATU, BATX. Bref, Brendan Eich lança le navigateur web Brave, et en 2017 grâce à une grosse Initial Coin Offering (ICO) le projet du Basic Attention Token démarra.
De mon côté, je ne sais plus comment j'en suis arrivé à essayer Brave et à l'utiliser pendant 3 ans, mais je suppose que je devais avoir appris l'existence des Basic Attention Tokens, étant déjà bien calé avec mon Firefox.
Après environ trois ans d'utilisation, j'aimerai faire un bilan.
Le navigateur web
En soit, je n'ai pas vraiment utilisé d'autres navigateurs que celui-ci depuis un sacré moment. Internet Explorer ? Oublié depuis mes années lycée. Edge ? Jamais touché. Chrome ? Abandonné depuis les premières polémiques avec Google. De temps en temps Chromium, essentiellement Firefox. Presque jamais Safari. Très vaguement Opera. Ainsi il parait un peu hasardeux de comparer Brave à d'autres navigateurs web, je doute qu'il n'y ait aucun article à ce sujet.
Sous le capot, c'est du Chromium. Certes cette base est utilisée dans d'autres navigateurs (dont Opera, Edge et Vivaldi), mais ça reste du Google / Alphabet derrière, et on finit par centraliser les navigateurs vers une seule solution, qui même si elle est open source sous licence BSD 3-Clause appartient à un GAFAM. Bref, ce n'est pas une bonne idée.
J'ai pu utiliser ce navigateur que ce soit sur ordinateur (essentiellement macOS) que sur smartphone (iOS). En soit, il y a un réel comfort d'utilisation pour des tâches basiques : navigation sur le web, gestion des marque-pages, gestion de l'historique. À savoir pour les développeurs web, forcément Brave pour iOS utilise le framework WebKit d'Apple, tout comme ses concurrents.
L'usage
La publicité embarquée
Mon besoin était le suivant : je navigue sur les internets, en voulant un minimum de protection pour ma vie privée (mes exigences n'étant pas nécessairement les mêmes que celles des autres), et en voulant éviter de me bouffer de la publicité à tout va, tout en profitant des basic attention tokens. Et sans aucun add-on à installer.
Concernant la facilité d'utilisation, c'est classique, et je n'ai rien à dire de négatif à ce sujet et je mets Brave au même niveau que ses concurrents (à tort ?). Pour ce qui des publicités et des traceurs sur les sites web, je suis satisfait. J'ai pu tester le site web de 20 Minutes, choisi arbitrairement, en ayant activé les Brave shields et en les désactivant : de manière propre et transparente les publicités disparaissent et des pisteurs sont bloqués. Pour rappel, supprimer les publicités peut vous éviter de perdre votre attention, vous laisse davantage maitres de votre navigation web, et peut aussi réduire l'impact sur le traffic (moins de contenu tiers à télécharger sur votre appareil). Ci-dessous une comparaison avec la page sans les shields activés, et la page avec ceux-ci activés.
La vie privée
Comme évoqué précédemment, les Brave shields permettent de protéger un minimum votre vie privée en agissant sur plusieurs leviers :
- Le bloquage des traqueurs, balises et publicités, avec un mode “agressif” possible
- Le forçage des requêtes vers HTTPS
- Le bloquage de scripts (dont du code JavaScript)
- Le bloquage des captures d'empreintes numériques
- Le bloquage des cookies interdomaines
La prise en main est simple au possible, même s'il me semble que d'autres navigateurs embarquent par défaut certains de ces éléments. L'interface est simple, intuitive, et permet de voir aussitôt ou presque le résultat sur la page donnée. On accède au panneau de contrôle notamment via l'icône de la tête de lion dans la barre de recherche du navigateur, voyez ce panneau ci-dessous.
Si vous voulez en savoir davantage, consultez cet hyperlien sur les privacy shields et celui-ci sur les autres fonctionnalités protectrices de la vie privée.
Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, les préférences du navigateur proposent bien plus encore. Il est possible de forcer le navigateur web à afficher les pages originelles plutôt que les rendus optimisés pour les appareils mobiles, rendus générés par Google et son projet AMP. On peut aussi définir les listes de filtres à appliquer pour bloquer tout ou partie du contenu indésirable que l'on peut rencontrer au cours de sa navigation ; ces listes pouvant être déjà proposées ou définies à la main. De même, il est possible d'autoriser ou non les intégrations de réseaux sociaux et de services tiers (Google, Facebook, Twitter et LinkedIn). Et comme beaucoup de ses concurrents, on peut avec Brave définir son moteur de recherche par défaut (dont celui de Brave, Qwant, DuckDuckGo, Startpage, Ecosia et Google). Bref, ce que propose nativement Brave est déjà pas mal, même s'il serait intéressant de faire une comparaison avec un Tor Browser vanilla ou un Firefox avec des add-ons comme Privacy Badger et NoScript.
Enfin, Brave propose en plus du mode “navigation privée”, un mode “navigation privée avec TOR”. On peut ainsi passer par le système de routage en oignons pour être potentiellement moins pistés. Toutefois, j'ai déjà fait la comparaison entre ce mode et le navigateur TOR mentionné précédemment, et j'ai eu davantage de sites web qui plantaient avec Brave qu'avec le navigateur dédié à l'oignon. De plus, il faudrait regarder si pour ces deux cas le web fingerprinting n'est pas fructueux ; le navigateur à l'oignon va bien définir une fenêtre de navigation spéciale pour fausser ce calcul d'empreinte, mais quid de Brave ? Avec mon pote Seb on avait pu proposer ce sujet lors du Café Vie Privée que l'on avait monté à Lannion en 2018. Le support de présentation est d'ailleurs ici.
La publicité proposée
L'un des idéaux de Brave est de proposer autre chose concernant la publicité qui est jusque-là imposée aux usagers du web. Pourquoi devoir subir tous ces encarts publicitaires douteux, sachant que les régies quand ce ne sont pas les géants du web nous pistent pour toujours nous proposer autre chose ? Est-ce que la consommation de ces publicités ne représente pas un travail d'un genre nouveau ?
En 2021 le livre blanc du projet Basic Attention Token fut publié, et les différents chiffres présentés sur le site web basicattentiontoken.org sont intéressants : presque 60 millions d'utilisateurs mensuels du navigateur, plus de 400 annonceurs enregistrés et près de 2 000 campagnes en cours.
De manière générale, durant votre navigation sur le web vous pourrez recevoir sur votre appareil une notification assez classique, mettant en avant tel ou tel produit ou service. En cliquant sur cette notification, vous irez dans un onglet dédié tout droit vers le contenu publicitaire, et vous serez in fine prorata temporis rémunéré. Dit autrement, plus vous consommez de pubs de ce genre, plus vous cagnottez en Basic Attention Tokens (BAT). Par la suite, vous percevrez mensuellement une somme de BAT, et c'est reparti pour un autre mois. Bref, on ne vous force pas à voir de la pub, et on vous rémunère au temps passé si vous le faîtes. Curieux paradigme rafraîchissant dans un système où le pigeon qui regarde, clic, et achète est le même qui se bouffe toutes les pubs.
Que faire alors de ces tokens BAT ? Vous pouvez faire par exemple du staking, i.e. vous les mettez de côté en attendant / spéculant sur le fait que ça prenne de la valeur. Bref vous entretenez tout ce côté abscons, abjecte et malsain au possible que l'Homme a donné aux cryptomonnaies : vous spéculez, reproduisant le même schéma qui a échoué et qui devait être combattu par les premières cryptomonnaies. L'autre solution est de les convertir en devises “classiques”, mais un bref coup d'oeil aux taux de conversion devrait vous faire comprendre que ces tokens “ne valent pas grand chose”. D'après CoinMarketCap, 1 BAT vaut 0,365 dollar américain ou 0,37 euro d'après Coinbase. La dernière solution, la plus fidèle à la philosophie du projet, est de reverser ces tokens à des créateurs de contenus référencés chez Brave. La chose est aisée : via un autre bouton sur la barre de recherche du navigateur, on peut apprendre si le site web consulté est enregistré auprès de Brave et peut recevoir des tokens. En quelques clics, on envoie mensuellement ou en une seule fois une certaines quantité de tokens, Brave en retenant un petit pourcentage en guise de frais.
D'ailleurs il y a quelques infos sur cette page web concernant les Brave publishers qui publient du contenu. La procédure est très rapide, et on peut le faire pour son site web, son profil Twitter et aussi son profil GitHub. Il faudra pour ça avoir un compte dédié à la gestion de vos cryptoactifs.
Et finalement ?
Finalement je suis mitigé, car je suis déçu. Au début du projet, les choses étaient simples et faciles, mais je commence à cumuler les frustrations qui me feraient partir de nouveau vers Firefox.
D'une part, les publicités ne m'intéressent pas car elles tournent toujours autours de projets de cryptoactifs, ou de jeux Web3. Et j'ai été amené plusieurs fois sans raison apparante à refaire les réglages des notifications entre les versions macOS et iOS du navigateur. En plus de ça, je note que Brave décide d'aller plus loin en proposant un wallet pour gérer d'autres cryptoactifs, ce qui ne correspond plus à mon besoin initial. Il y a aussi d'autres services qui ne m'intéressent pas, comme le support natif WebTorrent et aussi Widevine (dehors les DRM !).
Puis vinrent les grosses frustrations. Auparavant, les choses se passaient bien sur iOS. Mais gagner des tokens BAT et les envoyer via une app sur un appareil Apple sans accepter leur racket ? Un rêve éveillé. Le coup de grâce finit par tomber fin 2020, et ça m'a vraiment saoulé.
Je continuais tout de même de tester sur macOS le système des Basic Attention Tokens avec un des services wallet proposés pour gérer mes BAT, et il s'avère que du jour au lendemain, ma “région” (i.e. le pays du coq au vin et du claquos sur la baguette) n'était plus prise en charge ! Expliquez-moi donc comment utiliser un navigateur web qui cumule des tokens sans wallet ? Impossible.
Conclusion
Bref, devant des pubs qui ne me plaisaient pas, sachant que le nouveau paradigme proposé par les BAT ne semble pas vraiment prendre en 6 ans, et que l'on est toujours tributaire des “gros” (Apple et ses règles, et les lois des pays), j'ai du mal à voir un intérêt à Brave, alors que j'y ai vraiment cru. Toutefois, ça reste une solution intéressante pour naviguer tranquillement sur le web sans avoir à installer des extensions et faire trop de configuration.
C'est toujours un beau projet, et c'est audacieux. En soit je ne regrette pas du tout d'être passé à ce navigateur web et d'avoir essayé son service basé sur les BAT. Mais quitte à avoir un navigateur web, autant qu'il corresponde davantage à mes besoins, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Bref, Basic Attention Tokens comme Brave et cryptoactifs, je laisse tomber. Mais merci pour ce moment ! En attendant des jours meilleurs, je retourne sur Firefox 🔥
D'ailleurs si vous voulez creuser un peu les sujets de l'hygiène numérique et de la protection de la vie privée, 3 hyperliens en vrac :
– Un article sur l'hygiène numérique
– Un article (en anglais) sur la vie privée et des outils à avoir pour le numérique
– Le site web du Café Vie Privée de Lannion de 2018
Sortez couverts !
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Dernière mise à jour : mardi 23 mai 2023
Précédemment sur paper.wf
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