je ne travaille plus et écris le reste du temps

avril – une résidence d'écriture

collage de la lune avec un cosmonaute et inspecteur barnaby avec des lunettes solaires

En avril, je refais du quotidien dans l'exceptionnel. Un bout du monde, une éclipse solaire, un pays inconnu, je refais des habitudes me lève à la même heure, longe la même rivière, bois le même café regarde la même série et puis : travaille. Ma sœur se moque au téléphone : tu manges des pâtes-sauce-tomate et du houmous-pita au bout du monde ? C'est que j'aime quand les choses sont identiques quand je peux, doucement, creuser un trou profond d'habitudes, un nid de tout pareil qui m'ancre et m'empêche de partir à la dérive. un trou profond comme un tunnel et j'explore.

Et tu parles à des gens ? me demande ma sœur. Juste assez je lui réponds et j'entends Bora Vocal de Rone, avec Damasio qui dit :
“isola île, tu comprends ce que ça veux dire isole ? tu crées ton île et du l'évastes au maximum, il faut que les gens soient loin de toi pour que ton univers soit vaste”*

et je me rappelle que je suis tout à fait en désaccord avec lui.

Pendant un mois, je ne fais que travailler j'imagine des mondes impossibles, de la musiques en mathématiques, des émotions dans les sciences et surtout je cherche à raconter une histoire**. Et oui mon univers est vaste. Mais l'évastation de mon univers n'a rien à voir avec le fait que les gens ou mes proches soient loin. Je ne crée rien à partir de la solitude. La solitude on la connait, elle poisse elle étouffe elle tue. La solitude c'est le désert mystique nous donnant des visions qui ne restent rien que cela : des visions, des délires, des pages noircies de charabia qu'on jettera plus tard en se disant : ça n'allait pas fort là.

Ce mois me rappelle la différence entre la solitude et la tranquillité. Pendant un mois : je suis logé dans un appartement très confortable, j'ai de l'argent pour un mois, je ne propose pas de manière erratique des projets car j'ai peur de ne rien réussir à produire. Bref, j'ai atteint une petite utopie de création-fonctionnariat pour 30 jours. Et du coup je peux enfin m'atteler à un projet que j'adore et qui me fait faisait peur. La tranquillité me permet de créer, pas la solitude.

Alain Damasio semble penser que la communauté, le monde autour de nous est un frein à notre processus créatif. Je n'ai clairement ni son expérience ni sa notoriété, mais pour moi il y a quelque chose de pourri dans cette rhétorique. Il n'y a pas d'idées pures, de création parfaite. On ressasse, on s'inspire, on discute et donc on avance. Mes projets ne deviennent pas corrompus parce que j'en parle, au contraire ils s'enrichissent de nouvelles perspectives. Le mythe de l'artiste dans une cabane au milieu de la forêt est extrêmement séduisant, mais il est trompeur. Il isole l'acte créatif du reste de la vie (isola île) et voit les autres comme des nuisances qui ralentissent.

Pour moi c'est tout à fait l'inverse. Les autres, par leurs points de vue, leurs discussions me permettent de faire advenir les projets qui, sinon, resteraient des visions, des rêves sans corps. La tranquillité c'est pouvoir parler d'un projet à quelqu'un en sachant qu'iel va écouter, conseiller, référencer.

La tranquillité pour moi c'est l'inverse de l'isolement. Je ne fais pas comme si j'allais faire tout, tout seul, j'apprends à demander, je fais des listes de questions, je dis : désolé c'est pas fini, mais je ne suis pas désolé, je présente mes bouts de projets en vrac, c'est un chaos sans nom et je demande : peux-tu m'aider à le nommer.

La tranquillité c'est pouvoir être loin, tout en sachant que nos proches ne sont pas seul.es à leur tour. C'est pouvoir inventer des mondes sans fuir le sien, ou plutôt en se disant : je peux le faire, je n'abandonne rien ni personne, non pas parce que personne n'a besoin de moi, mais parce que les choses sont organisées autour de mon absence.

Alors en avril, j'ai mangé des pâtes, fait des balades le long de la rivière, regardé inspecteur barnaby, vu une éclipse solaire, croisé plein de chiens, bu des cafés filtres, raconté l'histoire d'un mathématicien et, joyeusement, interverti la tranquillité à la solitude.

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* j'ai connu la chanson avant de lire Damasio et je l'aime beaucoup
**https://transistor.media/projets/residences-dartiste/