Décider [5/100]
C'est l'âge où l'on n'est plus trimballé par la vie. Trop lourd. Prise au vent incertaine, brise trop légère. Pour avancer, il faut créer une force venue du fond. S'extraire seul de la terre.
Le premier mouvement est le plus douloureux. Balançoire de plomb, les genoux pliés sont si frêles, les pieds ne touchent pas terre. Le second mouvement se heurte tout autant à l'immobile. Pourtant, dans l'air un froissement. Une bouche qui se prépare à dire un mot. Ce n'est pas un mot encore ce n'est même pas une graine de mot. Une formation. Au troisième mouvement, le bruissement d'air n'est pas dans nos têtes, c'est certain, quelque chose se tend. Le quatrième mouvement le confirme. Le cinquième et ceux qui suivent nourrissent ce fol espoir d'un début. Les efforts se multiplient et la croyance d'un décollage possible prend toute la place. On essaie tellement qu'on oublie qu'au dehors, il ne se passe rien. Notre corps crispé par l'effort ne fait pas bouger la balançoire. Peu à peu, le frottement de l'air ne devient qu'un élément du décor. Le corps rigide n'essaie plus. La tête, lourde, dodeline sur les épaules de fer.
On reste là, sur la balançoire de plomb, si longtemps et on oublie qu'un jour on a essayé de voler.