Ils ont détruit mon bâtiment
J'ai appris il y a quelques semaines que le bâtiment dans lequel j'ai grandi allait être détruit. C'est l'histoire de plein de gens qui ont grandi en HLM. On pousse, on fait de la place, on assainit le quartier. C'est pour la mixité sociale, c'est pour embellir.
Ce n'était pas un appartement miteux. C'était beau. La cage d'escalier était verte. Il y a la trace de mon anorak au 4e étage car j'avais évidemment voulu tester la peinture fraîche. Le salon était plus grand que tout ce qu'on avait eu avant, il y avait une mezzanine. On avait chacune une chambre. J'avais une balançoire. On avait installé une pataugeoire sur le balcon.
L'immeuble va être détruit car il faut ouvrir le quartier. Une vraie souricière dit la police. Trop de chemin piétons. Trop de deal, trop de trafic. Des immeubles qui deviennent insalubres. Sur la projection en 3D les surfaces sont lisses à défaut d'être accueillantes. On évite le mot “destruction” dans les plaquettes de présentation. C'est plutôt une “ouverture visuelle sur les cœurs d'îlot”.
“Pour le moment, heureusement qu'il y a des lieux de culture dans ce quartier, on fait dire à la bibliothécaire. Ça change des faits divers.”
Je pense à mes ami.e.s qui ont des maisons de famille avec des greniers remplis de souvenirs et qui racontent à quel point ça a été long de vider la maison de mamie. Le T2 de ma grand-mère a été vidé en deux après midi. Une tante a récupéré ses foulards. Une tante ses photos. Les oncles n'ont pas pleuré. Certes, il y a la maison du pays. Une maison vide dans laquelle on n'a jamais vécu et qui représente tous les paradoxes des parcours migratoires.
Le nouveau programme national de renouvellement urbain se déroule et mes liens au passé disparaissent.