j'ai perdu un an
Parfois je me dis : j'ai perdu un an. J'ai un trou dans le CV. J'ai des mémoires qui manquent. Pendant un an j'étais où ?
A ceux que je ne connais pas pas j'ai dit : j'étais en voyage
A ceux que je connais j'ai dit : j'étais en voyage et avant cela j'étais en dépression.
C'est marrant, ce territoire intérieur qui n'attendait qu'une chose : d'être redécouvert. Avec l'énergie d'un Christophe Colomb j'ai embarqué pour un continent déjà connu. J'ai cherché des noms pour des choses qui avait déjà été nommée. J'ai essayé d'anéantir ce qui était là depuis la nuit des temps. Puis la terre m'a avalé.
Alors, j'ai perdu un an. Il parait que je suis plus apaisé. La vérité est qu'une partie du feu s'est éteint. Je m'énerve moins, je fatigue plus. Mon cerveau est lent, sec, comme une éponge qu'on plonge soudainement dans l'eau et qui ne prend pas tout à fait sa forme originelle.
Une personne m'a dit : tu as du beaucoup apprendre sur toi pendant cette période. Je n'ai rien dit. J'ai pensé : j'ai appris que ma peau pouvait être en carton, que mon assiette de riz pouvait devenir des vers, j'ai appris que les personnes les plus proches de moi étaient des ennemis dont il fallait se séparer, j'ai appris que je ne pouvais pas faire confiance à la seule chose qui avait grâce à mes yeux : mon cerveau. Merci. J'ai trop appris.
Alors je préfère dire : j'ai perdu un an. J'ai un trou noir dans ma biographie. Les autres éléments de ma vie, attirés par ce point de gravité, risquent un jour d'être avalés. Je me dis : je ne perdrai qu'un an. Pas plus.
Il ne reste plus qu'à construire des soleils suffisamment solides.