La ville morte / épisode 13 – la fin du monde
La ville morte a connu la frénésie du grand départ pré-confinement une nouvelle fois. Des kilomètres de bouchon le long des deux rives ont créé une panique de klaxons et de cris. Deux personnes, casques sur la tête ont couru sur un boulevard entier après un potentiel voleur. Les intersections étaient bouchées par des voitures optimistes qui pensaient “c'est vert je traverse je m'en fous”.
On a acheté des chips et on s'est doucement demandé à quoi allait ressembler cette deuxième fin du monde.
Sous l'appartement, le café a une nouvelle fois baissé le rideau de fer. Pas complètement. Juste au trois-quart, de sorte que le gérant sort et entre en se tortillant un peu. Dans le square en bas, on boit des cafés dans des verres en plastique en guettant les derniers rayons de soleil de novembre. C'est plutôt rassurant, cette demi-présence. Juste quelques personnes qui boivent un café dehors.
Je me rassurais ainsi, lorsque j'ai croisé une femme dire de manière extatique dans son kit main libre :
“Au moins, on est débarrassé des blédards du bout de la rue.”
Je ne l'ai pas poursuivie, je ne lui ai pas hurlé dessus. Au milieu du square, je suis restée les bras ballants, comme on se retrouve souvent face à des manifestations si directes de racisme. J'ai regardé ses cheveux lisses calés derrière ses oreilles. Petite taille, sac à dos. Ongles peints, démarche assurée. Un joli portrait de “Mme tout le monde” comme “Mme tout le monde veut voir les nord-africains retourner dans leur pays la nordafrique”.
Je n'ai rien de commun avec les hommes du café. Je ne suis pas un homme de quarante ans. Si j'en crois le peu de conversation que j'ai entendu / comprise, contrairement à la plupart, je n'ai pas d'entreprises dans le bâtiment. Rien en commun donc.
Enfants, on se moquait toujours un peu des blédards. C'étaient ceux qui arrivaient en cinquième en parlant un français cassé, qui prenaient des cours de FLE (français langue étrangère), et qui ne savaient pas nager (moi non plus par ailleurs, mais c'était différent).
On était aussi impressionné. Un blédard avait vécu dans un autre pays, savait parler plusieurs langues, contrairement à nous, et se moquait allègrement de nos prononciations. On sait que nos parents, nos oncles, nos grands-parents ont tous été des blédard⋅e⋅s. Leurs manies, leur accent, leurs remarques nous le rappellent. Alors on dit blédard avec amour et taquinerie.
“Tu sais, on garde la maison au pays aussi parce que, si ça tourne mal en France, avec l'extrême-droite, on a un endroit où aller.”
En entendant la tirade raciste de Mme tout le monde, j'ai pensé à cette maison quelque part. La maison qui nous attend, si la fin du monde nous engouffre.