La ville morte – épisode 5 / les deux rivières
Sur la carte, les eaux ont des couleurs différentes et s'assemblent dans une hybridation magique. Les tourbillons du fleuve se mêlent avec le calme de la rivière.
Une équipe de marketing en a fait un slogan là où les eaux se mêlent. C'est un événement culturel, c'est une célébration. Au milieu, le triangle de terre devient un bout du monde, accessible en tramway.
A la jonction des deux rivières, il y a une autoroute urbaine. Le paysage est découpé en lignes qui s'intersectent et ne se rencontrent pas. Les routes, fluides et violentes, se rapprochent sans entrer en collision. La marche est complexe. Traverser le fleuve est aisé, traverser les bouts de route, périlleux.
On ne sait que faire de toutes ces jonctions et tous ces heurts. Ce n'est pas vivants comme peuvent être les grandes villes du Sud, c'est mort comme du béton et du goudron juxtaposés. Il n'y a pas de déambulations faciles, les mouvements sont entravés par des feux, des passages piétons manquants et des voitures hurlantes.
Le bout de terre est maintenu hors de l'eau à grands renforts de pieux et de béton. Une dalle a été coulée sur des pilotis d'acier. C'est une plateforme offshore dans une rivière tranquille. Les dimensions se cognent dans une démesure provinciale. On est dans un plan, déchiré puis reconstitué grossièrement.
Au dessus de la dalle, s'élève un monstre de béton. Le bâtiment accueille les visiteurs avec une grâce monumentale. L'antagonisme des matières impressionne. Le sable sous tous ses états a été manié avec brutalisme. L'eau s'écoule sous les pieds, faussement innocente. On sait qu'en dessous, les pieux continuent de s'enfoncer.
L'intérieur du bâtiment est rempli de vide. Les espaces sont distendus comme le temps. Il faudrait pouvoir moduler sa taille pour pouvoir naviguer aisément dans les différentes zones et s'adapter aux changements d'échelles. Le rez-de-chaussée est immense, le dernier étage minuscule. Chaque pièce est une version miniature de la maison d'Alice aux pays des merveilles. Un jeu de drink-me/eat-me qui agrandit ou rétrécie les espaces. Ce jeu de proportion est la véritable attraction.
Sortir du bâtiment, le contourner, le voir de plus loin, c'est visiter des rêves passés d'urbanistes.
Le monstre futuriste illustre un futur antérieur vertigineux.