La ville morte – épisode 6 / la ville minuscule
Au bord de la ville morte, dans un interstice entre le fleuve et l'échangeur, il y a une ville minuscule.
Les bus et les voitures tournent autour de ce recoin de terre, creusent le sillon qui le sépare du reste de la ville morte. A travers une vitre, s'étalent des bouts de vie qui ne nous appartiendront jamais. Des gamins courent dans le rassemblement chancelant. Tout est cabane. La ville minuscule est à leur échelle.
La ville minuscule est construite à partir des débris de la ville morte, comme si cette dernière avait explosé et qu'on avait récupéré des morceaux de matière pour les ré-assembler ici. Il y a des palettes, des coins de tôle et du plastique. Les bouts de bâche sont tendus au dessus des murs et se creusent avec la pluie. Un jerrican rempli d'eau; les résidus de pétrole et produits chimiques imprègnent encore le bidon. L'eau est bouillie, mais les produits restent à la surface. Des pacs d'eau minérale vides traînent sur le sol. Les camions de recyclage ne passent pas ici. Il y a des feux d'ordure régulièrement, pour tenir la ville propre. Les voisins ne se plaignent pas, il n'y a pas de voisins.
Quatre arbres déplumés cachent mal la ville minuscule. Elle attire les regards. Les autorités rêvent de la voir disparaître. On parle d'intervention de la police, d'appeler le 115, encore une fois. C'est pour leur bien, on ne peut vivre ici, dans le bruit de l'autoroute et les odeurs de la zone. Il faut faire place nette. Sur les plans locaux d'urbanisme, cette zone est blanche. Qu'est-ce qui pourrait pousser dans cette intersection de routes ?
La ville minuscule change avec les saisons. L’hiver, un brasero s'allume. Au printemps, des flaques de boue se forment, le campement se rehausse de palettes, on y navigue comme dans un bayou. L'été, le goudron chauffe, le plastique chauffe, il n'y a que la rivière pour calmer la chaleur. Dans l'humidité de l'automne, les enfants ont bientôt vieilli d'un an.