La ville morte – épisode 8 / les retours
“Je demeurai longtemps errant en Césarée”
L'errance à l'intérieur de soi a ceci d'étonnant qu'elle est tout à fait invisible. C'est une disparition sans avis de recherche. On glisse à l'intérieur de soi, aspiration sans expiration. Le corps continue sans routine, le visage réagit au son et à la lumière. Les yeux se vident, le sommeil s'échappe.
Loin de l'obsession amoureuse, l'errance à l'intérieur est un éparpillement de soi en mille morceaux sans éclats. La fermeture d'une aile de musée que plus personne ne visitait. Le reste de l'établissement fonctionne, cette partie là n'accueille plus de public.
Les retours à soi passent par l'extérieur. On se récupère un détail à la fois, sans jamais ramasser tous les débris. Toujours des petites choses, parsemées dans la ville morte, jamais de grands spectacles.
- la glace offerte par le café en dessous de l'appartement
- l'animateur radio qui annonce la canicule avec un filtre sépia dans la voix
- la poupée à la fenêtre d'un immeuble, posée sur des boîtes en bois, porcelaine étincelante, cheveux de pailles, sourire terrifiant
- la chanteuse d'opéra sous les arcades, sa mélodie nocturne reprise par les gamins qui jouent devant le café
La ville morte ne pose pas de questions quand on revient. Elle non plus n'avait pas de projets pour cet été. Elle ferme en août. Ses habitantes parties sur la côte ou dans le Jura, elle attend. La chaleur s'infiltre dans le bitume qui, doucement, se liquéfie. Ça fait des grandes plaques de chaleur dans lesquelles on pourrait se plonger. Fondre avec la ville, quel beau projet.
Les absences dans la ville morte ne sont pas documentées. Les gens, les chats et les bâtiments disparaissent et reviennent sous d'autres formes constamment.
Hier le sdf n'était plus sous la fenêtre, il n'a pas disparu, il est ailleurs me dit le boulanger, c'est un ailleurs mieux il se rassure en me donnant la monnaie dont je ne sais pas quoi faire. Le hangar, aspiré par un grand trou, laissera place à une résidence au nom floral, parsemée de balcons secs et sertie de fenêtres en pvc. Un chat au nom de Cajou a sauté d'un rebord de fenêtre à l'autre jusqu'au kebab, se laissant glisser le nom de la portière. A son retour, une main a surgit par la fenêtre, l'a saisi par le col et a refermé l'ouverture. Il s'appelle comme sur l'annonce placardée rue de Marseille “PERDU CAJOU CHAT 9 ANS”.
Rien ne se crée tout se transforme, je voudrais tout documenter. Revenir c'est vouloir collecter. Acheter de nouvelles pellicules, emprunter une caméra, tout capturer.
Comme si cela pouvait prévenir la prochaine disparition.