je ne travaille plus et écris le reste du temps

L'accélération

Frances, du film Frances Ha traverse en courant un passage piéton à New York. Elle a un sac à dos en cuir, une robe à fleurs, un leggings et des converses

Par moment, vous allez lentement, si lentement. Vos phrases sont interminables, vous répétez les mêmes choses, en boucle. Vous prenez un soin incroyable dans vos gestes, votre diction. Chaque étape du raisonnement est détaillée, comme si vous aviez peur qu'on glisse et qu'on loupe la marche.

Dans la fable du lièvre et la tortue, je sais de quel bord je suis. Je pars vite et fort, je m’essouffle, reviens en arrière, m'arrête, m'effondre. Je vous regarde, vous êtes si loin. Vous êtes arrivé‧e‧s.

Vous n'êtes pas arrivé‧e‧s bien sûr. C'est une illusion d'optique. Comme celle d'une forêt compacte quand on la regarde de loin. En se rapprochant, on réalise la distance du paysage. Ce n'est pas l'herbe plus verte. Je vous écoute, je sais qu'on est dans le même gazon cramé. Vous dîtes vos doutes, vos errances, vos attentes. Mais jamais la lenteur du temps.

Je voudrais que tout s'accélère. Les heures sont courtes, il y a tant à faire. Je suis comme un enfant, insatisfait du temps des adultes. J'ai toujours voulu arriver à l'étape d'après. Je veux courir. Plus vite. Avant le temps. Je cours. Je trébuche. Plus je pense aller loin, plus je tombe fort.

J'ai vu Frances Ha de Noah Baumbach il y a quelques mois, sept ans après sa sortie. On suit Frances Ha, une danseuse rêvant de devenir professionnelle, qui glisse à travers les événements : une meilleure amie qui s'éloigne, un boulot de danseuse qui s'éloigne. Frances, jouée par Greta Gerwig, avance en circonvolution là où les autres semblent avancer en ligne droite. Elle s'impatiente. Alors elle court, se prend des portes, en claque d'autres, loupe toutes les occasions, part à Paris, revient, ne lit pas Proust.

Il paraît que c'est l'allégorie parfaite de la sortie de l'adolescence. La fin de la tornade, de l'agitation qui tourne à vide et des brassages d'air. J'en doute. Mais, j'y pense quand je vois vos gestes mesurés et méthodiques. Je me dis : vous non plus n'êtes pas arrivé‧e‧s, vous avez simplement appris, doucement, à vous épargner. Vous avancez à tâtons, sans la fureur des rêves adolescents, mais avec la douceur du quotidien.

Frances tombe, tombe, puis s'accroche à des petits bouts de réalité et remonte. Elle apprend, lentement.

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