Le 31, j’ai noyé le chat de ma sœur.
TW : santé mentale
Nous sommes la nuit du 31 décembre et je n’ai rien prévu pour cette soirée. A la place j'ai noyé le chat de ma sœur.
Je prétends que je suis suffisamment élégante pour n’avoir rien programmé par choix. Je voudrais dire avec un sourire subtilement dédaigneux : “je ne fête pas le nouvel an, c’est si commun”.
En réalité je ne prévois rien au nouvel an, comme je ne prévois aucune soirée à l’avance. Je mens en disant que je suis incorrigiblement improviste. Je déblatère sur mon signe MBTI, ça fait rire, on m’en veut, et finalement on dit que c’est comme ça : “elle est comme ça tu sais.” Ça me va bien et je fais comme si cela vous allait aussi.
Je ne prévois rien au nouvel an car j’ai peur. C’est une peur-panique, une de ces peurs paralysantes.
Je mens quand je dis que je suis incapable de prévoir : je suis la reine des agendas et des plans de carrière sur 10 ans (des plans qui changent tous les trois mois).
L'affolement se crée dans mon cerveau car je dois vous promettre. Je devrais vous dire : “bien sûr je viendrai”. L'énonciation de ces mots crée le mouvement de panique. Parce que je n’en sais rien.
Le 31 décembre je n’ai rien prévu car j’avais peur de ne pas me pointer. Pour moi et pour vous. Je suis restée dans la maison de mes parents à regarder une comédie française sur Arte. Je ne me suis pointée pour personne car je n’arrive pas à me pointer pour moi-même. Et ma conclusion du 1er janvier c’est que j’avais bien fait.
Le 31 au soir, je me suis vue noyer le chat de ma sœur.
Il était dans la maison de mes parents, eux-mêmes partis faire la fête avec leurs amis. C’était, à vrai dire, la seule mission de la soirée : s’occuper du chat de ma sœur, un gros chat gris et adorable. C’est d’ailleurs une chatte et elle s’appelle Zézette – ça fait toujours beaucoup marrer ma sœur quand elle le dit. Zézette est affectueuse et nous suit dans toutes les pièces où l’on va, lieux d’aisance compris.
Je n’ai pas bu le 31 car je ne bois que pour vous parler et sortir de ma tête. C’est la fin de l’année et ma tête est, pour quelques heures encore, un endroit plutôt accueillant. Alors je ne bois pas et je vais tranquillement aux toilettes, mettant en pause mon film (décidément pas fameux). Zézette se frotte à mes jambes, je la gratouille. Je me relève, tire la chasse d’eau et je vois une forme grise dans la cuvette.
La spirale commence alors. Je panique, j’appelle le chat à travers la maison. A ce moment, une chose est sûre : j’ai noyé le chat de ma sœur dans les toilettes. Ma poitrine est oppressée, mes mains tremblent. Ma respiration s’accélère en quelques secondes. Le chat a disparu. Il a disparu car je l’ai tué. Je ne cherche pas une preuve de sa mort, je cherche désespérément une preuve de sa vie. Je suis en négation d’une mort donc je suis convaincue qu’elle est arrivée. Tout est son contraire.
Je vis alors deux vies en même temps : une où le chat est mort, une où je suis folle. Les deux réalités coexistent et se superposent. Je vois les toilettes, je hurle, je vois les escaliers, je respire. C’est un kaléidoscope cauchemardesque. Les images s’enchaînent et tout existe en même temps.
Des heures vont passer et le chat réapparaîtra. Je l’ai tué et il vit. Je pleure et je suis présente. Le sel de mes larmes et la chaleur de son poil.
Il faudra des heures pour que je revienne à moi-même, que je me chuchote doucement : rien ne va, tout va bien. Je voudrais bercer mon cerveau.
Je n’ai rien prévu pour le nouvel an et je n’ai rien prévu pour les mois qui suivront.
Je me demande simplement si j’arriverai un jour à me pointer pour moi-même.