je ne travaille plus et écris le reste du temps

L'homme qui penche

une fille penchée, issu d'un ouvrage de Schuiten et Peters

L'homme qui penche est un livre qui a vécu longtemps avec moi. Je l'ai terminé fin janvier. Trois mois après, je le relis en cherchant des signes.

31 janvier 1997
31e jour de la 1997e année.
Rien n'a bougé.
Le mur est intact. Le maçon n'est lié qu'à ce qu'il fait. Et qui tient. Voilé par la mort. Que toute présence nous voile.

J'ai commencé par la fin. Je sais que Thierry Metz meurt en cette 1997e année. Le voile est tombé et il a traversé. Dans la biographie il est dit : l'auteur s'est donné la mort.

La mort comme don. C'est le nom d'un épisode de Buffy : death is your gift. Mourir pour que le reste (quoi ?) puisse vivre. Thierry Metz ne revient pas parmi les vivants. Pourtant il revient. J'ai son livre entre les mains et je lis son journal et je vois des morceaux de sa vie sous mes yeux. La mort comme don, et non comme un échec, mais comme un cadeau qui met fin à la lutte. La fin de la course, s'offrir sa mort.

it has been a beautiful fight
still is.

Bukowski meurt à 73 ans d'une leucémie. Il a peut-être, lui aussi, attendu la mort comme un don. Quand j'imagine Bukowski, je vois Léo Ferré, un singe dans les bras qui le regarde d'un air doux. Bukowski a eu de la douceur dans toutes ses tourmentes. Je cherche la douceur dans l'écriture de Thierry Metz, les preuves d'un amour. Je me dis : il doit y avoir de l'amour puisqu'il a tenu jusque là. Je crois les trouver dans la description des personnes de l'hôpital, Sophia, Dominique Claude. Je crois les lire dans la danse des abeilles. Puis je lis :

Aucun baiser le soir. Aucune tendresse. Le lit. Les comprimés. L'avant-goût de pourrir sur un tas de feuilles mortes.
Il y avait pourtant de quoi faire.
Il était une fois ...

L'amie qui m'a offert ce recueil m'a dit : tu verras cela te parleras. Elle a vu des traces de son père. Pas le fantôme de son père, mais des traces de ce qu'il était, vivant.

Moi quand je l'ai ouvert, j'ai pensé à l'Enfant penché de Schuiten & Peeters, cette bande-dessinée étrange où une jeune fille se réveille, un jour, penchée. Les docteurs n'y comprennent rien. Elle finit par quitter ce monde pour un autre, parallèle.

Il y a quelque chose dans son angle qui m'a fait penser à celui de l'esprit cassé : le décalage qui nous donne l'impression de ne jamais réussir à attraper le monde tout entier. Etre, par rapport à ce qui nous entoure, tangent. Malgré tous nos efforts, ne jamais se sentir droit.

Je me dis : Thierry Metz se penche à sa table, il écrit et ainsi se redresse. Dire “je” écrit Thierry Metz, est “une maladresse”. C'est vrai. C'est aussi une nécessité. Il y a quelque chose dans le fait de dire Je qui aide à se sentir vertical. Ecrire, pour tenter, enfin, de se redresser.

*Thierry Metz, L'homme qui penche, Editions Unes