je ne travaille plus et écris le reste du temps

mars – les mots sont minés

deux extraits du film "the end of the tour" avec une photo de moto en collage
Les mots sont minés, au détour d'une boutade le tic tac de la bombe qui s'enclenche, tu peux fake le détachement, le mondain insensible, toujours les mots te rattrapent toujours les mots s'accrochent à ta gorge et la remplissent jusqu'à ce que tu ne puisses plus respirer.

ce qui t'arrive précisément à la salle de sport un mardi après-midi.

Sur la machine tu te concentres tu fais des séries de 12, toujours des séries de 12 pourquoi t'en sais rien, c'est pratique on peut le découper en plein de petites séries quand sur la fin le muscle des bras glitche, pixel mal en place ton corps fait le point et

une phrase te boomrang en plein plexus une phrase même pas fraîche même pas récente, une phrase médiocre, des milliards tu as du en produire des comme ça , une phrase dite un soir sans y penser, mais c'est elle qui rebondit et

subitement, le poids de la machine a été multiplié par deux, presque tu entends le petit cling du changement de kilos et ton torse se contracte et ta nuque se courbe et tes poumons se remplissent de mots tu suffoques.

Immobile dans la salle de sport, un blocage normalement dans ces cas-là tu irais à la salle de sport justement, souffrir pour moins souffrir ça marche c'est bizarre mais ça marche, mais là tu es déjà dans la salle de sport.

Ta gorge s'ouvre sans air, à l'intérieur un bouillon littéraire glaiseux faudrait mettre la main et ressortir une à une toute les anecdotes gluantes et les blagues de mauvais goût pour se frayer un chemin. A la place, plié en deux sur la machine tu prends ton pouls.

7 – 8 – 9

Tu passes ton temps à dire : c'est que des mots. Le genre, c'est que des mots. Les diagnostics, c'est que des mots. Les insultes, c'est que des mots. Les mots c'est que des mots. Ce qui compte ce sont les conditions matérielles d'existence.

C'est quoi ta condition matérielle d'existence, en boule sur la machine à pecs, camarade ?

Les mots restent dans le royaume des mots car si les mots ont un pouvoir sur le réel, tout s'effondre. Ça veut dire que vos mots créent le réel, ça veut dire que vous êtes de petits démiurges et que je dois négocier ma vérité intérieure avec vous.

Ça veut dire que le mec qui m'a hurlé “sale gouine” devant chez moi a un pouvoir sur moi, qu'avec son esprit aviné il peut créer une réalité où c'est honteux, où c'est sale, une réalité où je vérifie comment je suis habillé avant de sortir et où je me demande si je ressemble à quelque chose qui n'existe pas. Ça veut dire que le mec qui nous a suivi avec L. et nous a dit : alors les filles on veut s'amuser ? crée un espace où ça se pourrait qu'on veuille coucher avec un vieil homme ivre qui nous a suivi pendant dix minutes un soir de juin en sortant du ciné.

Quand j'ai raconté cette anecdote à mon père il m'a dit “parfois les mots ça suffit pas, faut leur faire vraiment peur”.

Quand j'ai raconté cette anecdote à mon père (qui a vécu pire niveau racisme) il m'a dit “parfois les mots ça suffit pas
parfois faut leur faire peur”.

Alors je dis les mots c'est rien que de l’espace, rien que des petits bouts d’espace qui prennent la forme d’une barbe à papa prétentieuse et que je peux écraser

non avec d’autres mots, mais avec mon poing
et les réduire en poussière.

1 – 2 – 3 – 4- 5 – 6
je remonte sur la machine.
7 – 8- 9
10 – 11
12.