je ne travaille plus et écris le reste du temps

Ne jamais regretter le brouillard

photo du film Virgin Suicids

Je ne regrette pas le brouillard. La nostalgie des états mélancoliques m'est étrangère. Il m'est très difficile de comprendre la vision romantique des états dépressifs, encore plus sa glorification.

Une amie me disait, en parlant de son adolescence “je regrette ces moments d'extrême sensibilité, même si je sais que c'est con, que j'allais mal”. C'était un paradoxe : comment regretter ces états de tristesse où la douleur est partout ?

La mélancolie est souvent présentée dans des termes évasifs et délicats. Ce vers de Baudelaire, souvent utilisé pour décrire le spleen, nous conduit à imaginer de longues marches pensives dans une ville endormie :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous fait un jour noir plus triste que les nuits ;

Je ne peux que me demander où trouve-t-on les descriptions crues de la dépression ? Les douleurs, les humiliations, la rage, où sont-elles ? Dans l'imaginaire collectif, il ne reste qu'une vision romantique, belle, mais incomplète de ces états.

La glamourisation de la mélancolie est au moins aussi vieille que le spleen baudelairien. Les états dépressifs sont glorifiés et de surcroît présentés comme le revers de la médaille du talent. Le magnifique Melancholia de Lars von Triers, développe une vision plus directe de la dépression. Pourtant il n'échappe pas à cette équation dépression = talent. En l’occurrence une vision précise de l'avenir et des éléments.

Comme le dit si bien Hannah Gadsby dans son spectacle Douglas (disponible sur Netflix, vraiment recommandé), on ne crée pas grâce aux états dépressifs, mais contre ou tout du moins avec. Van Gogh n'a pas peint parce qu'il était fou, il a réussi à peindre malgré cela, car il était médicamenté – d'où, manifestement, les couleurs des tournesols. Il n'aurait peut être pas été là suffisamment longtemps pour les peindre sans soutien.

De plus, on est nombreux.ses à connaître ces états, et à franchement pas être des génies. Parfois on fait des scrapbooks et du tricot, et c'est déjà pas mal. Un jour, je fonderai l'association des dépressifs médiocres, et je pense qu'on aura du boulot.

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C'est une des plus belles phrases de Virgin suicides. J'y pense souvent quand je vois que l'entourage ne comprend pas (pourquoi la tristesse, qu'est-ce qui va mal, tout, alors ça ne veut rien dire, non). C'est un état de fait, incompréhensible sauf peut-être après des années de psychanalyse. Ce n'est ni bien ni mal, c'est un passage que certain⋅e⋅s d'entre nous traversent, parfois en boucle.

#santémentale