Qui déteste les bi-raciaux
Les Etats-unis s'embrasent, les non-blancs meurent, je me demande qui je suis.
“Quand je me regarde je réalise que j’ai un corps d’africaine, m’a dit ma tante ce weekend.”
On aborde souvent des sujets légers avec ma tante. Cette semaine on a parlé corps, races et perception. J’ai raccroché et j’ai regardé mon corps de bi-raciale.
bi-raciale
On ne m'a jamais appelée “bi-raciale”. J'ai eu : métisse, moite-moite, si-mignon-une-telle-belle-histoire, génération 1 et ½, mélangée, juive*. Les gens ne savent pas bien quoi faire de mes origines qui ne se voient pas. Alors j'ai décidée d'être factuelle. Mère blanche. Père nord-africain. Je suis bi-raciale.
C'est laid comme mot, biracial. On dirait un titre d'une catégorie porno ou une insulte. Un bout de code noir qui traîne encore dans notre vocabulaire. Il y a bi, qu'on utilise pour les sexualités qu'on ne sait pas classer. Il y a race, dont on ne sait pas quoi faire. Le mot a disparu de la constitution et est prévalent dans toutes nos vies.
La langue française lui préfère le terme de métis. La connotation est soudainement tout autre. Métis, c'est le vivre ensemble et l'intégration républicaine. Il y a un monde fascinant qui s'ouvre avec ce terme : un monde de familles mixtes souriantes, où l'amour prévaut au-delà des préjugés. La violence, les barrières sont anéanties.
l’entrée
La blanchité est un club. J’ai souvent senti que mon maintien dans ce groupe était lié à ma réussite scolaire et à une maîtrise de codes culturels implicites. Chaque écart m’aurait rapproché de la sortie. A l’inverse faire des études longues, passer des concours de la fonction publique a conforté cette position, alors que cela ne devrait rien avoir à faire avec la question de la race.
Emmanuelle Saada, enquêtant sur la situation des enfant métis en Indochine pendant la colonisation le rappelle :
pour être considéré de race française, l’enfant métis doit non seulement avoir du sang français dans les veines, mais aussi être socialisé selon les règles de la « civilité », dans un milieu familial de culture française.
L'entrée dans la nationalité est conditionnée par l'entrée dans la race, elle-même dépendante de la “civilité”. La boucle est complète.
la sortie
Dire que j'étais bi-raciale m'a, pendant longtemps, semblé hypocrite. J'avais l'impression d’imiter les bourgeois·e·s qui rappellent les origines modestes de leurs grands-parents à chaque occasion, afin de prouver leur absence de privilèges économiques. En effet, je passe pour blanche auprès de la plupart des institutions et des personnes qui me rencontrent pour la première fois.
A l’inverse, valider ce présupposé, n’est-ce pas effacer les gens que j’aime et qui sont mes ascendants (mon père, mes tantes, mes oncles, mes grands-parents) ? Cela veut-il dire que j’efface celles et ceux qui ont été et sont toujours présents dans ma vie ?
La deuxième partie de la question est venue de l’émission d’arte radio consacrée à un policier noir découvrant un groupe whatsapp constitué de collègues racistes. Dans les extraits choisis, la liste des insultes est longue. Un sujet revient de manière récurrente : les femmes blanches qui choisissent des hommes non blancs. Avec leurs mots cela donne : les putes à ** qui trahissent leur race.
Quand je questionne ma mère sur ce sujet, elle me répond à côté. Elle me parle de différences de classes sociales (lui ouvrier, elle bourgeoise). Elle ne me raconte pas le racisme teinté de mépris de ses parents pour mes grands-parents (“c’est rigolo ils ne savaient pas où s’asseoir” a dit sa mère après la seule invitation faite à mes grands parents), ou le racisme teinté d’islamophobie face à mon père (on n’a arrêté de compter les déjeuner où il y avait du porc “oublié” dans les plats).
Cela doit exister les histoires merveilleuses de rencontres et de mélanges. Pas chez nous. Chez nous, il y a eu sécession.
Dire bi-raciale, me permet de raconter cette histoire.
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*pensez-y la prochaine fois que vous considérez que les juifs.ves sont blanches
** insérer ici : nègre, bougnoules, manouches, juifs