six mois après ~ il faut tomber d'une comète
Cela fait six mois que le mini-livre est sorti. C'est un petit récit qui parle d'installer sur une comète, de se perdre dans un supermarché et puis de ne pas aimer taylor swift (d'une manière subtile).
A l'occasion d'une lecture publique, la semaine dernière, un monsieur avec une cravate à sequin argenté m'a fait remarquer que c'était trop long et que, les poèmes c'était trois pages maximum. A la rigueur quatre, il a concédé. Il le sait bien, il est poète lui-même.
C'était brusque et suffisamment caricatural pour être comique. Hannah Gadsby, dans son spectacle Douglas, parle des gens qui lui font des feedbacks. Souvent en sortie de scène. Souvent au pire moment. D'ordinaire, j'adore les feedbacks. C'est une formidable preuve de confiance : quelqu'un prend le temps de se poser avec vous et de vous expliquer ce qu'iel a trouvé touchant / bouleversant / ennuyant / maladroit, pendant une heure ou vingt minutes et détaille avec vous ses ressentis et vos intentions.
“Un poème c'est trois pages” ne voulait pas dire “votre idée fonctionnerait mieux si elle était condensée” ou même, vraiment “un poème c'est trois pages”, cela voulait dire : “un poème c'est moi qui le définit et ce poème là, non, c'est pas un poème”. Comme c'était un petit monsieur avec une cravate à sequin argenté j'ai trouvé ça rigolo. Mais c'est la même chose avec l'amie de votre tante, le pote de votre pote qui lui écrit de la poésie enfin, il a un début de recueil, enfin il a le titre quoi. C'est pas un feedback. C'est quelqu'un qui veut parler de lui.
Il faut tomber d'une comète a été relu par trois personnes : moi, Ariane et Flora les éditrices, L. qui avait relu le premier jet et m'avait dit, droit dans les yeux : “franchement c'est pas bon” ... et c'était vrai. Cette remarque m'a fait comprendre ce que cela voulait dire écrire, pour moi. Ecrire ce n'est pas écrire dans le bus à lyon ou dans le métro à paris. Ecrire pour moi, c'est polir. Prendre des tripes et les ciseler et n'exposer que la dentelle. Cela ne correspond pas à ce que j'aime lire ou écouter. Au moment où j'écris ce texte j'écoute l'album instrumental des Fugazi enregistré en une prise. Il n'y a rien de poli. C'est brut, c'est beau. Ce n'est pas moi. Si je fais ça, ça donne le premier jet de “il faut tomber d'une comète” et c'est, objectivement, tout pourri.
Ecrire le mini-livre m'a appris cela sur moi. Je ne suis pas un petit génie. Je n'écris pas à l'instinct de longs poèmes. Je suis quelqu'un de besogneux. J'écris et puis je jette, et puis je réécris, et puis je jette. C'est pas très glamour. C'est pas très poète. C'est même carrément fonctionnaire qui relit son rapport sept fois pour enlever les coquilles et recalculer les chiffres. Tant mieux, j'aime bien les fonctionnaires.
Cela fait six mois que le mini-livre est sorti et quand je fais une lecture publique je ne me souviens pas de l'écriture et de la galère. Je me souviens : perdre les pédales dans un supermarché. Je me souviens : écouter des podcast de sciences en attendant ma révolution personnelle. Je me souviens du poids de mes jambes. Je me souviens de toutes ces petites choses qui ont nourri l'écriture d'il faut tomber d'une comète. Comme un petit trajet de comète, qui m'a ramené à la maison.
*** pour info, la comète du diable sera visible à partir du 22 mars en France. La dernière fois qu'elle a traversé l'horizon terrestre c'était en 1954. Je ne sais pas trop ce qu'elle a fait pendant ce temps. Elle a explosé une fois, elle s'est effritée un peu. Sa trajectoire a légèrement bougée. Si vous la loupez ce n'est pas bien grave, elle repassera, dans soixante-seize ans.