je ne travaille plus et écris le reste du temps

Transmission [15/100]

Transmission, 15/100 jours d'écriture

Ce texte a tout d'abord été écrit pour un podcast que vous pouvez écouter ici.

Dans le salon de mes grands-parents, il y avait un petit poste de radio. Une brique en plastique noire avec une antenne que mon grand-père déplaçait de pièces en pièces. L’appartement de mes grand parents était lumineux et encombré. Il y avait trois chambres, une pour eux et les deux autres pour leurs enfants.

Quand je pense à cet appartement je vois de plein de choses : la petite gazinière sur laquelle ma grand-mère faisait le pain, le canari jaune, et les roses des sables rangées dans le meuble télé et que mon grand-père me permettait de toucher malgré l’interdiction formelle de mon père. Je sens aussi plein de choses : le lait chaud, le café à l’italienne ou encore l’odeur de renfermée des cassettes télé.

Mais surtout, j’entends. Il y a les voix de mes grands-parents, ma grand-mère qui me dit des choses en kabyle et mon grand-père qui écoute les infos sur la petite radio.

Les flashs infos rythment les siestes, les pauses avant le repas. Le son tapisse l’appartement comme une décoration subtile

Quand mon père arrive pour venir me chercher, mon grand-père lui raconte ce qu’il a entendu. C’est le fil France-Kabyle info. Mon père et mon grand-père sont debout pendant que je suis assise avec ma grand-mère qui prépare le pain. Ils s’échangent des petits bouts d’information dans une langue mystérieuse qui mêle tellement le kabyle et le français que cela sonne comme un espèce d’espéranto méditerranéen. On dirait deux espions, qui se retrouvent incognito dans un HLM de la banlieue grenobloise.

Moi je les épie et je comprends que la radio dit des choses très importantes. Des choses qui viennent de très loin, au-delà de cette petite cuisine remplie de poivrons, d’amour et de travail. Des informations qui méritent d’être entendues puis redistribuées. Des choses qu’on se raconte entre hommes debout côte à côte dans le salon et qui parlent de lointain encore plus lointain que l’Algérie : comme Paris ou les Etats-Unis ou encore Chirac, ou de Villepin. Je garde ces mots comme des messages codés que je vais ensuite répéter pour briller dans la cour de récréation.

Et comme ça, sans s’en rendre compte, mon grand-père m’a transmis l’amour de cette petite boite qui transporte des secrets. Encore maintenant, quand je sens que, tout est un peu trop (trop intense, trop rigide, trop mou, trop mouillé) je lance France info sur mon téléphone, et je m’imagine tous les noms avec l’accent kabyle et tout de suite ça va un peu mieux.