une carte postale
Ce n'était pas un voyage lointain. Je n'ai exploré aucun horizon, contemplé aucun paysage en me disant : cela valait le coup de venir jusque là.
J'ai voyagé dans cet endroit familier dont j'ai reconnu : la couleur des murs, l'irrégularité du sol, et puis ces mains, ces grandes mains qui ne se ressemblent pas. Mes mains sont petites et maladroites, elle cassent et brisent et griffent sans faire exprès, je les lisse avec du vernis comme une seconde peau, et elle tout est aussi uniforme que la première. Les grandes mains ne sont pas les miennes. Elle font les choses à ma place, et me glissent sous l'eau et me glissent sous les draps, et j'en rage de cette douceur que je voudrais mordre la main qui me borde.
Le coeur battant au bout des pieds, j'inspire, j'expire, je suis arrivé en pays nu.
Tout est là : portes qui tremblent, parquet bruissant et puis la lenteur. Cette foutue lenteur qui vous colle les os, vous vole vos airs et laisse, suspendu, une odeur de vomi vriller vos entrailles.
Ce serait un labeur, parait-il de revenir de ce voyage lointain. trainer semelles contre pavés avant passer aux genoux, limés, saignés, rédemptés pour pouvoir revenir. Pourtant quoi de plus détestables que la souffrance qui n'est pas maîtrisées. Quoi de plus répugnant que cette douleur étalée dans la chair. Il y a quelque chose de repoussant, m'a-t-on dit, dans le fait d'évoquer ce voyage, comme si cela pouvait nous entrainer, si on regarde de trop près.
Alors pour cette fois, je reviens et mes pieds ne sont pas limés et mes genoux ne sont pas en ruines. Je crache, de travers, mes petits mots de sang et je retourne habiter une tanière moins hostile.