Une certaine idée de la littérature
Il me faudra encore de nombreuses années pour me défaire d’une certaine idée de la littérature.
J’ai un rapport de bonne élève à la littérature. Je lis des classiques et des romans japonais. J’aime Pérèc et Genet, Soljenistyne et Sapienza. Un roman policier par an à la plage. Une relecture occasionnelle des romans d’enfance (Seigneurs des anneaux et Harry Potter). Bref, j’ai les goûts de ta prof de français. Au fil des années, je me suis adaptée au système scolaire avec entrain, et je lis principalement des bouquins qui peuvent se retrouver au programme du bac.
Mes grands-parents ne lisaient pas. Mon père peut compter sur les doigts d’une main les livres avec lesquels il a grandi. Un demi-doigt si on les rapporte au nombre d’enfants de la famille. Il y a, dans la famille un rapport sacré, à l’objet livre. Longtemps, j’ai accumulé des poches d’occasion achetés à Gilbert Jeunes qui ont rendu mes déménagements en train plus que complexes. Il fallait lire, se souvenir des auteurs, connaître leur biographie. Lire, puis ranger dans des petites étagères de l’esprit. La lecture était une arme sociale, contre mon milieu, contre le vôtre.
Récemment, j’ai arrêté de lire. Pour la première fois, quand on me demande : alors qu’est-ce que tu lis ? Je réponds : rien. Des bouts de livres s’entassent sur mon étagère. Je les regarde, les contemple et ne les lis pas. Je ne fais même pas semblant (comme ce livre pris, puis reposé, puis repris pour lire trois phrases, puis reposé). Je ne lis pas de livres.
C’est comme arrêter de fumer. J’y pense tous les matins, et je ne le fais pas. Sur instagram, je regarde les piles de livres s’étaler, les merveilleuses étagères remplies de livres frais et de plantes vertes. Des photos de poèmes de Sylvia Plath photographiés en mode sépia avec une légende inspirante ne me font ni chaud ni froid.
Ce n’est pas une rupture, c’est juste une pause. Beaucoup de personnes ayant fait une prépa raconte ce moment de vide qui suit le bourrage de crâne nécessaire aux concours. Je n’ai pas fait de prépa, je ne suis pas allée à l’école depuis 5 ans, mais je réalise que cette période ressemble à ce vide, et qu’il est salutaire.
Ce vide me permet de me tourner vers d’autres formes de littérature dont j’avais oublié qu’elles m’apportaient de la joie. Je suis en train de faire la Marie Kondo de ma consommation culturelle et, en fait, ça fait du bien. Il y a deux semaines, j'ai lu avidement des livres pour enfants. Des J’aime lire, et Claude Ponti. Depuis une semaine, je lis également autre chose qu’un sacro-saint livre : je lis des fan-fictions d’Harry Potter et je me marre. Je découvre cette littérature grise si inventive, drôle et émotive.
Je pense à toutes les formes inventives de littérature que je n’ai regardé que d’un oeil : les superbes zines féministes, les bouquins sur tumblr, les fanfic romantiques, et je me dis qu’il me faudra encore de nombreuses années pour me défaire d’une certaine idée de la littérature, mais que c’est en chemin.