16/02/2022
Quelqu’un a cassé la poupée, il y a longtemps déjà.
Jetés par terre, dans la poussière, les fins rouages, les délicates petites pièces, si fines, si fines, les ressorts petits, éparpillés.
Alors on l’a remontée, amoureusement mais sans le plan, sans le plan.
Elle fonctionne maintenant, elle sourit, elle fait des tours, mais quel est ce geste interrompu, ce regard soudain fixe ?
Elle tombe la poupée, le nez par terre, oh, vite, un peu de peinture rose sur ce bout de nez mignon, écaillé.
On resserre cette petite vis ? On retend ce petit ressort ? Mais qui sait les réglages précis ?
Elle danse à nouveau la poupée, légère, légère, elle sourit son joli sourire, gentil, gentil, elle est gaie, elle a l’air heureuse.
Jusqu’à demain.
16/03/2022
Ce matin je me suis pas réveillée.
Enfin, si, je me suis réveillée mais j'étais morte.
En fait c'est ça qui a dû me réveiller, je crois.
Je me suis levée, j'étais toute bizarre, je suis descendue dans la cuisine, y'avait mon père.
– Je suis morte, je lui ai dit.
– Ça m'étonne pas de toi, tu fais toujours tout ce que tu peux pour nous les briser. Alors c'est tout ce que tu as trouvé pour te faire remarquer, ce coup-ci ? Tu m'excusera mais c'est pas du tout original.
J'ai essayé de lui faire comprendre que j'avais pas fait exprès, il m'a envoyée paître.
Ça m'a pas coupé l'appétit, j'ai mangé mon petit déj' et je suis partie au boulot.
À l'arrêt du bus y'avait toujours les mêmes crétins, j'attends à l'écart en général. Pour tout arranger le bus était plein, j'ai essayé d'avoir une place mais personne n’a voulu savoir que j'étais morte, c'est pas une raison, ils disaient, on était là avant vous etc…
Au bureau, je suis allée voir mon boss, il a cru que je voulais discuter mon salaire, quand il a compris que c'était parce que j'étais morte, il m'a fait remarquer que c'était pas une condition syndicale ni rien du tout, et que je ferai les heures sup' comme tout le monde et que d'ailleurs j'arrivais en retard et les histoires de bus il en avait rien à foutre j'avais qu'à partir plus tôt etc.
À la pause de midi les copines étaient comme ça :
– Oh là là, quelle histoire, c'est con, juste avant l'été, tout ça…
Mais je me demande si elles se foutaient pas un peu de moi.
Le seul changement c'est quand je suis rentrée le soir, le chat de la voisine m'a adressé la parole, tiens, je savais pas qu'il parlait celui-là, et il s'est carrément fichu de moi, que j'avais l'air d'une méduse hors de l'eau et que si ça continuait à ce rythme-là je risquais de rester morte pour longtemps.
Ben je vais vous dire, si c'est tout ce qu'on gagne à être morte, je vois pas du tout l'intérêt.