Dressage
Ma vie avait changé profondément. Une Nanny, aussi attentive et aimante qu'elle puisse être ça n'est tout de même pas une maman. Ce manque, je le crains, restera pour toujours en moi, il aura formé mon caractère et les failles de ma personnalité même si Miss X… et son dévouement ont absolument fait tout qui était possible pour y remédier.
C'est vers la même époque, peu après cette nouveauté dans ma vie de petite fille, que mon frère aîné se mit en tête de faire mon éducation, après tout si je n'étais qu'une fille je descendais aussi quand même d'une famille de samouraïs, je devais donc être formée à l'usage des armes traditionnelles, comme mes frères.
Je l'ai dit, mes frères jusque-là ne s'étaient intéressés à moi que pour exercer de stupides brimades.
L'aîné avait 12 ans de plus que moi, c'était à mes yeux un homme, je le craignais car il était bruyant, violent et tyrannique dans ses rapports avec moi. Je compris vite que je n'avais encore rien vu.
À 18 ans il était déjà très expert dans le maniement des armes traditionnelles, malgré son âge, il faut dire qu'il était particulierement grand et fort, il ambitionnait de gravir les échelons. Il est maintenant maître d'armes.
Nous avions à la maison un dôjô privé où mes freres s'entraînaient, et parfois sous la direction d'un maître d'armes qui venait leur donner des cours privés.
Un soir, je venais de rentrer de l'école, mon frère est venu me trouver dans ma chambre et m'a ordonné de le suivre. J'obéissais sans broncher, son autorité était indiscutable de la part d'une enfant minuscule et timide comme moi.
J'entrais dans le dôjô pour la première fois de ma vie, c'était un espace impressionnant et sonore.
Je dus subir, assise en seiza, tout un discours auquel je ne compris rien, du reste je pense que je n'écoutais pas. Une petite pièce sur le côté contenait des casiers ou étaient rangés des vêtements bleus, j'y entrais avec lui, il me jaugeait d'un regard navré, y avait-il là-dedans une tenue assez petite pour cette mi-portion ? La plus petite, ayant appartenu à mon 2e frère à ses débuts était encore trop grande, tant pis, il faudrait raccourcir le hakama, le reste sera ample mais ça passera, et puis elle finira bien par grandir, peut-être ?
Suivit un grand nombre d'exercices d'assouplissements d'abord sans accessoire puis avec un shinai. Au début ça m'a paru rigolo, je prenais les choses légèrement. Mon frère sans se presser alla prendre une branche d'arc cassé puis revint devant moi. Quand le premier coup tomba, je fus sidérée, un 2e coup me remit en marche, je ne riais plus du tout…
Interdiction absolue de pleurer.
Il se passa une heure avant ma libération, j'étais totalement épuisée, les muscles raides, et les premières marques sur mon corps.
Ces séances devaient se reproduire à un rythme élevé durant les 6 années suivantes. Mon frère d'ailleurs a réussi parfaitement ma « formation », bien avant 12 ans j'étais un excellent petit coq de combat, capable de tenir tête, de parer les attaques de mes 3 frères, je ne pleurais plus, je ne me plaignais jamais, non pas insensible aux coups mais dominant la douleur pour ne pas laisser la moindre trace de faiblesse face à un adversaire.
J'y reviendrai.
Très émue par les marques qu'elle remarquait se répéter sur mon corps, ma Nanny avait vite demandé à voir mon père pour protester.
Mon père lui avait répondu sèchement que si elle tenait à rester en poste et s'occuper de moi elle devrait à l'avenir s'abstenir de le déranger sauf pour des choses vraiment importantes et qu'elle n'avait de toute façon aucune autorisation de se mêler de l'enseignement traditionnel familial qui m'était donné avec son accord et sous son autorité seule. Cela dit avec toute la grossiereté et la brutalité dont sont capables les employeurs japonais de sa sorte avec leur personnel c'est-à-dire sans aucune formule de politesse, ce que la langue française ne peut pas rendre avec exactitude.
Il n'y eut plus d'entrevue les 6 années suivantes.