Les notes du laptop, par NEKO

JOURNAL D’UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (1)

On vole, on vole, plus de 13 heures d’ennui, de crampes, de sommeil bizarre, on ne sait pas si on dort, et d’un coup on sort d’un rêve désagréable dont le souvenir disparaît aussitôt en laissant un malaise au cœur.
À côté de moi, A est détendue, j’envie son calme, sa façon de s’échapper loin loin, elle sort de son livre et me sourit, me prend la main ou alors pose la sienne sur ma cuisse. Elle sait mon angoisse. Pas la peur de l’avion, non, ce poisseux malaise de revenir à mon point de départ d’il y a 3 ans…
On n’est pas très confortables dans cet avion, heureusement je ne suis pas une belle Française aux longues jambes, j’ai davantage de place, en longueur, que ma souveraine. Le rageant, (trouvé un prétexte à ma mauvaise humeur) le rageant c’est que l’avion n’est pas du tout plein. On devrait pouvoir enlever des sièges pour faire davantage de place aux voyageuses.
Il y a surtout des Japonais et des Coréens, donc le silence discret des uns, les chuchotements agaçants des autres.
Les hôtesses sont aimables, pas plus, mais elles apprécient que je parle un français compréhensible, que je sois souriante (au Japon on ne sourit pas au personnel) et pas chiante. Un souci de moins.
Bref, on se fait chier.

Plongée dans les nuages, il fait nuit, il pleut, on ne voit même pas Fujisan, une arrivée qu’on peut souhaiter à ses ennemis.
On boucle-les-ceintures-ladies-and-gentlemen, ça secoue un peu, ya du vent ?
Les lumières de Tôkyô, la piste qui défile à toute allure, un rebond ou 2, on roule, on s’arrête. On se regarde, on se sourit, A, son sourire généreux, confiant, fort, Neko son sourire japonais de circonstance, elle voudrait se cacher sous le siège, dans la trappe à bagage, les wc, n’importe où, mais pas sortir du cocon. Elle me prend la main, la serre fort fort fort, je sens son courage qui me gonfle le cœur, on sort.
Quand je dis on sort, rien du tout, on passe d’un sas à un autre, d’un filtre à un autre, contrôle, douane, police, passeports, certificats, paperasse, bonjour mademoiselle machin, sourire, salut, le nom magique qui ouvre les portes, merde, ça continue.

Le hall, immense, et là, mes trois frères, l’aîné en tête, comme il se doit, mes trois belles-sœurs que je vois pour la première fois, oh, elle est drôlement jolie ma belle-sœur aînée… On s’affaire autour de nous, des hommes s’occupent de nos bagages, saluts, saluts, saluts, salutations formelles, on ne se saute pas au cou, ici, mais il y a des façons de saluer, très codifiées, nous avons toutes les deux droit aux plus respectueuses, je me sens rougir jusqu’à la base des cheveux, je ne peux pas, je rends les saluts avec encore plus de respect, si ça continue on va tous finir par terre. La France m’a totalement déshabituée de ça, ça n’est sans doute pas un mal mais il va falloir faire une mise à jour d’urgence.
La grâce de A plane au-dessus de ça avec une élégance de reine. Je crois qu’elle fait très grosse impression. Présentations formelles.

Il est quatre heures et demie du matin, ma famille s’est donné la peine de venir au grand complet pour accueillir le mouton noir, la gouine et sa maîtresse, la bannie, l’exilée, l’ex-enfermée au fond des montagnes du Hokkaidô pour littéralement y crever par la volonté d’un père fasciste et tyrannique. La Terre a tourné.

L’aîné de la famille, le chef du clan, dirige les opérations, précise en phrases courtes une organisation huilée, tout est prévu, on nous sert un petit snack dans un salon privé, le temps de faire connaissance, A est félicitée pour son japonais, les compliments sont sincères, elle se débrouille très bien, même les modes de politesse, grosse impression, encore plus que son physique.
Cinq heures ici, c’est dix heures du soir en France, je commence à dormir debout.
C’est prévu.
Une grosse voiture (blanche) nous attend, on nous emmène par les voies rapides luisantes de pluie, peu fréquentées encore à cette heure, je pique du nez, A regarde cette ville où elle va travailler si tout se passe bien, je comprends que ça soit fascinant…
On nous a conduites dans une rue résidentielle, calme et bien éclairée, un petit immeuble moderne, porte à code, gardien qui nous salue, 3e étage, wow ! Un studio tout neuf, à la japonaise, dire clean c’est rien dire… J’en parlerai une autre fois.
On nous laisse, sur la tablette d’entrée une longue lettre de mon frère, je la parcours rapidement, il nous donne plein d’informations pratiques, plus un message à l’attention de A, rédigé en anglais. Rendez-vous demain, c’est à dire le 7 du 6e mois, il enverra une voiture, pourquoi je ne sais pas.

Je suis toute nue, chat sauvage décoiffé, fringues en vrac par terre, tandis que A prend son temps pour faire connaissance avec la salle de bain hyper perfectionnée. On verra demain pour le bain, je m’effondre sur le lit, à peine le temps de voir une déesse blonde me couvrir de la couette bleue et blanc, je pense qu’elle a déjà réglé la climatisation, moi, je dors, Je Dors, JE DORS !