JOURNAL D'UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (Ichikawa) (4)
Samedi 2 Juillet 2022
Nous avions rendez-vous dans le quartier de Chiba avec notre sœur aînée, elle nous invitait à manger le bœuf de Kobe dans un super restaurant très cher et très fameux.
Je passe sur le repas, effectivement très cher et très fameux, on a bu du Bordeaux parfait, après ça on a fini très tard dans la nuit dans un bar en buvant de la vodka, pour finir j’étais bourrée, bourrée aussi d’émotions et d’informations et c’est de ça que je vais parler.
Je présente d’abord l’épouse de mon frère aîné : elle a fait des études, à Tôkyô, mais aussi en Angleterre 3 ans, elle parle un anglais très beau, pas comme mon américain de petite fille. Elle est spécialisée dans le droit commercial international, c’est comme ça que mon frère l’a rencontrée puis épousée.
Elle ne s’est jamais entendue avec le père, qui détestait les femmes intellectuelles, et ça a commencé à faire réfléchir son mari…
J’ai appris comme ça que notre père tenait un journal, un journal abominable, qui a bouleversé mon frère quand il a commencé à lire.
Mon père me haïssait des la naissance, car je prenais la place du 4e fils qu’il voulait et maman ne pouvait plus avoir d’enfant. C’est pour ça il n’a même pas voulu s’occuper de mon prénom, c’est un moine, consulté par ma grand-mère qui l’a choisi. Il ne m’a pratiquement jamais regardée et au départ de ma Nanny, il m’a fourguée à son frère pour ne plus entendre parler de moi.
Mes frères ont été élevés dans la détestation et surtout le mépris de cette petite fille qui était assimilée à une étrangère. Après mon premier viol, un peu avant 15 ans, je suis tombée malade, je ne me nourrissais plus, la version officielle c’était que je faisais une dépression après la mort aux USA de ma Nanny. Je ne savais même pas qu’elle était morte, on ne me l’avait pas dit, pas plus qu’on me donnait les lettres qu’elle m’écrivait.
Quand j’ai tout déballé mon sac, ce fameux jour vers 16 ans, la version officielle était que j’étais devenue folle, et on m’a expédiée sous sédatifs dans le Hokkaidô « pour me soigner dans une clinique spécialisée », tu parles, je me suis retrouvée au bagne pour 3 ans dans cette secte. Mon père était au courant des traitements qu’on me faisait, peut-être pas en détail, mais il savait que j’étais très mal traitée, possible qu’il en tirait plaisir, comme une vengeance, mais le contrat était clair : le débarrasser de moi définitivement. En fait il m’avait condamnée à mort et la nuit ou je l’ai enfin croisée de si prés, il était d’accord pour qu’on me laisse mourir, il y aurait eu un certificat de décès en bonne forme et c’était réglé, ça n’a pas marché, un miracle. Il y a eu beaucoup de miracles dans ma vie.
Quand la police m’a trouvée et tout ce qui s’en est suivi, mon frère a été sidéré d’apprendre d’un coup la vérité, mais l’emprise de notre père était tellement forte que personne n’a osé réagir, et il n’a pas réalisé complètement. Après il y a eu Nara, le scandale des photos lesbiennes et à nouveau tous les torts étaient de mon côté, forcément. C’est à peu près en même temps qu’il s’est marié, un peu plus tard il a appris sa stérilité, puis notre père est mort et j''ai renoncé à l’héritage, tout ça l’avait beaucoup troublé encore et en plus, de France je l’ai provoqué en duel.
Ma belle-sœur n’était pas d’accord qu’il accepte. Elle pensait que j’allais perdre, mon frère étant d’un niveau officiellement supérieur à moi, et trouvait pas bien qu’il se plaise à ça, on ne se conduit pas comme ça avec sa petite sœur, au risque de la rendre infirme, elle pensait que j’avais eu assez…
Quand il est revenu il avait complètement changé, elle m’a dit, devenu très songeur et c’est à partir de ça qu’il a commencé à fouiller dans les archives de notre père et fait toutes ces découvertes qui ont changé complètement sa façon de voir et créé cet énorme sentiment de culpabilité, il s’est senti déshonoré c’est pour ça qu’il a voulu me faire des excuses formelles et publiques et qu’il a poussé nos deux frères à faire autant.
Notre père sembla avoir vu la stérilité de ses trois fils comme une punition, pas pour ce qu’il m’avait fait vivre, il n’a jamais eu un mot de regret pour moi, punition pour la dureté avec laquelle il avait élevé ses trois garçons, parce que eux non plus n’ont pas rigolé tous les jours, surtout mon troisième frère, rêveur et esthète, beaucoup plus attiré par la littérature et la poésie que par le monde des affaires. Tous les trois ont été forcés à afficher une virilité bruyante et agressive…
Je ressors de ça avec le sentiment d’un triste gâchis par la faute d’un fou, un père tyrannique abusif qui n’aura semé que le malheur autour de lui, mais nous sommes encore jeunes, le passé ne se change pas et il nous manquera toujours une enfance heureuse et commune, mais peut-être, avec le temps allons-nous réussir à construire un présent paisible, ou même affectueux ?
Je sens notre sœur et frère aînés vouloir le tenter et je suis partante, je n’ai plus de rancune.