Rencontre avec l’ours
Un récit du Hokkaidô
C’était la fin de décembre au Hokkaidô, je venais de m’échapper pour la 3e fois de la secte ou j’étais retenue depuis plus de 2 ans, j’avais l’intention de me laisser mourir de froid quelque part dans la montagne. C’est pas mal, c’est une mort douce. Il avait neigé toute la nuit, mais dans la forêt sous les grands arbres la couche n’était pas très épaisse. Je n’entendais que le vent et le bruit doux de mes pas sur la neige. Aucun signe de poursuite, ma fuite n’avait sans doute pas encore été remarquée et mes traces avaient été recouvertes de neige fraîche, je ne sais pas s’il y avait dans la secte quelqu’un capable de me pister dans ces circonstances…
Le jour commençait à peine à rendre plus distinct les grands troncs noirs que je ne devinais jusque-là que grâce à la vague luminosité du sol blanc.
Il faisait froid mais enroulée dans ma couette je ne souffrais vraiment que des pieds. En fait, lorsque j’arrivais à l’hôpital on ne m’a diagnostiqué que des lésions réversibles, j’aurai pourtant pu perdre mes orteils…
J’avais marché en ligne droite toute la nuit me semblait-il, toujours vers le haut, par prudence j’aurais dû faire de nombreux détours pour brouiller une piste éventuelle, mais j’avais trop grand hâte de m’éloigner et je négligeais cette précaution.
La lumière se fit plus nette quand j’arrivai à un espace découvert. Je m’arrêtai pour la première fois et m’adossai à un immense sapin, il était trop tôt encore pour m’asseoir, je ne voulais pas mourir dans un endroit aussi dégagé, je cherchais un coin ou mon corps ne pourrait pas être découvert avant longtemps, voire jamais. La fatigue commençait à me peser, assise je savais que je risquais de m’endormir.
Un bruit de branches basses secouées, sur ma droite, m’a fait tourner le tête.
À quelques mètres, pas plus de dix, il y avait un ours.
Le Hokkaidô est le pays des ours bruns, tous les ans des gens sont tués, il y a eu par le passé des agressions très graves dont certaines, concernant plusieurs villages et des dizaines de victimes, qui sont restées dans l’histoire.
À cette période de l’année, les ours hibernent, celui-ci avait dû rompre son hibernation pour une raison ou pour une autre, il devait donc être affamé.
Il ne faut pas tourner le dos à un ours, de toute façon je n’aurais pas pu le battre à la course, bien trop fatiguée et certainement pas au mieux de ma forme physique, j’étais très amaigrie.
Il s’approchait de moi tranquillement, le nez en l’air, j’évitais soigneusement de le défier du regard…
Je n’avais pas peur, après tout je voulais mourir ? Mon cœur battait fort pourtant, quand il arriva jusqu’à me toucher. Il respirait fortement, soufflant de la buée par les narines, il était énorme, il était si beau, il sentait très fort, mais pas vraiment mauvais, une odeur de fauve, oui, mais aussi de mousse, de résine. Il était si proche, son souffle me réchauffait le visage et déplaçait une mèche de devant mes yeux. Il avait l’air plus intrigué que agressif, j’imagine qu’il cherchait à comprendre ce qu’était ce curieux être immobile enroulé comme une chenille dans un cocon…
Il avait levé une de ses énormes pattes mais ne se décidait pas à me toucher, la tête tournée sur le côté un peu comme font les chiens…
Tout bas je commençais à le prier de me tuer d’un coup. Mon crâne dans sa mâchoire, je le savais, ne résisterait pas plus qu’une noisette. Je craignais seulement qu’il ne m’arrache un membre ou m’attaque par le ventre et me fasse souffrir longtemps, ou, pire encore qu’il ne me tue pas et me laisse agoniser sur place pendant des heures…
Et d’un coup je me suis faite petite souris, comme dans un rêve, peut-être était-ce un rêve après tout, je sentais mes petites moustaches vibrer, le bout de ma queue battait l’air de nervosité, mes griffes se cramponnaient au sol, mon esprit animal tendu vers celui de l’ours je lui faisais remarquer l’insignifiance de ma petite personne…
Alors il a tourné le dos dédaigneusement et est reparti vers l’ombre de la forêt en reniflant. Avant de disparaître totalement sa grosse tête s’est retournée vers moi, il s’était arrêté avec un regard que je n’oublierais jamais car nos yeux se sont croisés une fraction de seconde, j’étais figée, il a hésité un instant puis s’est détourné et est reparti en longues foulées tranquilles.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, ce sont les premiers symptômes de l’engourdissement qui m’ont remise en route. Plus tard dans la matinée je tombai par hasard sur une voiture de police et j’étais sauvée, j’ai raconté tout ça ailleurs.
C’est quelque mois après, arrivée à Nara, qu’on a commencé à me surnommer petite souris, bien que je ne me souvienne pas du tout à partir de quel moment précis ni pourquoi, mais ça m’a paru bien trouvé.