Zone d'Écriture Temporaire

L'image de mon père

Lorsque mon père est mort s'est posée la question de le prendre une dernière fois en photo.

À la chambre mortuaire de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, il m'eu été facile de le photographier dans son cercueil avec mon smartphone. L'idée m'a traversée l'esprit mais je ne l'ai pas fait. À la place j'ai fait cette image éloignée de ma mère regardant son mari. Je n'ai pas réfléchi vraiment mais il est évident que la composition des lignes du carrelages du sol, l'encadrement de la pièce où se trouve le cercueil, la position de ma mère, tout cela concoure à faire une image formellement bien construite.

Je me souviens aussi que j'ai fait cette photo pour me donner une contenance, pour faire quelque chose et ne pas laisser l'émotion me submerger. Peut-être aurais-je du me laisser aller, pleurer, mais j'ai toujours eu du mal à le faire.

Le visage de mon père ne lui ressemblait plus tout à fait. Mais, si je l'avais photographié qu'aurais-je fait de cette image ensuite ? Je n'aurais pas pu la montrer, elle n'aurait contribué à rien, n'aurait eu d'autre fonction que voyeuriste.

J'ai bien fait une photo dans ma tête, avec trois plans : mère regardant mon père, mon père les yeux fermé et ma fille regardant le tout. Une composition triangulaire très équilibrée. Je pense que ma mère n'aurait rien dit ainsi que ma fille non plus mais pour quoi faire ?

Certaines choses se vivent et s'enregistrent avec tout le corps, elles n'ont pas vocation à être vues par d'autres que vous-même comme le démontre l'impasse des images pornographiques.

La mort et le sexe, deux extrêmes reposant chacun sur des représentations culturelles. Il est à déplorer que la mort, à travers la violence, soit si complaisamment étalée notamment dans le cinéma, même si je sais bien que cette violence est jouée, tandis que la pornographie engage véritablement le corps des l'acteurs.

Si je dois regretter une image, ce serait plutôt celle de toute la famille réunie autour de lui à l'hôpital l'avant veille de sa mort. Parce que c'était vraiment un moment d'espoir et de concentré de vie, même si nous le savions condamné. Ça n'aurait pas été une photo volée car mon père était encore vivant.

Lorsque j'étais venu le voir les semaines précédentes à l'hôpital et qu'il allait encore “bien” je lui avais demandé si cela le dérangeait d'être photographié, il me donna son accord en me faisant cette réponse “Je suis un homme de trace”.