Zone d'Écriture Temporaire

Qu'est-ce qu'une photo ?

Si je prends une photo de ma fille jouant du violoncelle et que je la mette sur la cheminée ou dans l'album photo, c'est une photo de famille ;

La directrice du Conservatoire l'ayant vu, me demande d'en faire une affiche pour inciter les enfants de la ville à venir lors des portes ouvertes, c'est une photo de communication ;

Et puis, il faut bien que je réinscrive ma fille à ce Conservatoire et n'ayant pas le temps de passer par le photomaton pour lui tirer le portrait, je découpe cette photo et en fait une photo d'identité ;

Ma fille décroche ensuite un premier prix au Conservatoire et le journal local me demande un photo d'elle pour illustrer l'article, c'est alors une photo d'information ;

La photo est re-publiée dans le même journal pour parler de l'engouement des jeunes pour la musique, c'est une photo d'illustration ;

Un luthier me demande cette photo pour la publier dans le journal municipal avec l'adresse de sa boutique, c'est une photo de réclame ;

Un publicitaire s'en empare pour illustrer la sérénité qu'il y aurait à prendre un compte épargne pour une banque, c'est une photo publicitaire ;

Un amis galeriste me propose de faire une rétrospective de mes photos et j'y mets la photo de ma fille à son violoncelle, ça devient une œuvre d'art ;

Il en fait des cartes postales, c'est alors du marchandising ;

Plus tard, des historiens ressortiront cette image et ce sera une photo d'archive ;

Et cetera.

L'usage d'une photographie et/ou l'intention du photographe en change la fonction. Le statut juridique du photographe change également en fonction de l'usage (journaliste s'il travaille pour la presse, artisan s'il fait des photos de mariages, auteur/artiste s'il fait de l'illustration, fonctionnaire s'il travaille pour une collectivité territoriale, amateur s'il photographie pour lui-même ou s'il travaille déjà sous un autre statut…).

Les droits d'auteurs ne lui appartiennent pas toujours selon que l'on considère qu'il a photographié de lui-même ou sous les ordres de quelqu'un ou d'une institution.

Il y a quelques années, lorsque je disais que j'étais photographe, on me demandait où était ma boutique…

Ainsi, tout ce qui touche à l'usage de l'appareil photo est regroupé sous le terme de la photographie. Dans le domaine automobile, chacun comprend bien la distinction entre un pilote et un conducteur. Dans le domaine culinaire, on fait aussi la différence entre être cuisinier et faire la cuisine. Ça ne retire rien à la qualité de chacun.

Un amateur peut être meilleur qu'un professionnel mais il n'en demeure pas moins un amateur. Il n'est pas inséré dans une chaine professionnelle. De même que je peux me dire très bon dentiste amateur, j'aurai peu de clientèle car je n'aurai pas le réseau de confiance (nombreuses années d'études sanctionnées par un diplôme, appartenance à l'Ordre des médecins…) nécéssaire pour le client.

C'est pourquoi par exemple dans le domaine de la presse, l'utilisation massive des photographies d'amateur est si problématique (J'en reparlerai dans un autre article).

Dès que l'on touche à la représentation du réel, il y a aussi la notion de goût qui intervient (construite elle-même sur des normes culturelles, sociologiques, politiques…) et c'est le même sujet que pour la peinture avec ceux qui visitent les expositions en disant “Ah ça ! J'aurais pu le faire aussi !” Sauf qu'ils ne l'ont pas fait car en faite, ils ne pouvaient pas le faire.

Une image d'une chose, même simple et banale, non révélée n'existe pas et n'a jamais existé auparavant. C'est la photographie qui créée l'image.

Ainsi, lorsque je dois parler photo, je suis obligé de cadrer la discussion afin qu'elle ne parte pas dans tous les sens.

Si “tout le monde” a désormais un appareil photo sur lui avec smartphone, mais tout le monde a un stylo chez lui, la culture liée à l'usage n'est pas encore suffisante pour que chacun puisse en discuter en se comprenant clairement. Si je dis que je suis historien et que mon outil de travail est un stylo, on ne me confond pas avec un écrivain. On sait que mon travail n'est pas le même vis à vis du rapport au réel, du style, des contraintes économiques…

L'arrivée en masse des appareils photos numérique a quelque peu brouillée ces nuances. La très grande simplicité de fonctionnement des appareils couplé au rêve marketing de reconnaissance rapide des réseaux sociaux a créé une excitation dont il faudra attendre qu'elle retombe un peu pour que revienne la pensée.