L’apocalypse joyeuse (Jean-Baptiste Fressoz)
Jean-Baptiste Fressoz est un historien des sciences, des techniques et de l’environnement, que j’ai découvert dans plusieurs entretiens où il présentait Sans transition, son dernier ouvrage consacré à la soi-disant ‘transition énergétique’, qui fait partie de mes prochaines lectures. Avant de lire le livre par lequel j’ai découvert cet auteur, j’avais envie de découvrir ses livres précédents, à commencer par L’apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, publié en 2012 dans la collection L’Univers historique chez Seuil.
Sommes-nous les premiers à distinguer dans les lumières éblouissantes du progrès technique, l'ombre de ses dangers ? En occultant la réflexivité environnementale des sociétés passées, ce schéma simpliste dépolitise l'histoire longue de la destruction des environnements et altère notre possibilité d'appréhender lucidement la crise environnementale actuelle. Pour éviter cette amnésie, une histoire politique du risque technologique et de sa régulation sur la longue durée était nécessaire.
L'Apocalypse joyeuse expose l'entrée de la France et de la Grande-Bretagne dans la modernité industrielle (fin XVIIIe -XIXe siècle), celle des vaccins, des machines, des usines chimiques et des locomotives. Elle nous plonge au cœur des controverses vives qui surgirent autour des risques et des nuisances de ces innovations, et montre comment les critiques et les contestations furent réduites ou surmontées pour qu'advienne la société industrielle.
L'histoire du risque ici racontée n'est pas celle d'une prise de conscience, mais celle de la construction d'une certaine inconscience modernisatrice.
Jean-Baptiste Fressoz propose une lecture passionnante de l’évolution de la notion de risque technologique au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle. Les 300 pages de l’ouvrage se composent, outre une introduction et une conclusion, de 6 chapitres thématiques :
L’inoculation du risque, sur l’échec des premières tentatives de rationalisation du risque auprès du public dans le cadre de l’inoculation contrer la variole au cours du XVIIIe siècle
Le virus philanthrope, sur les moyens mis en oeuvre par l’administration impériale au début du XIXe siècle en faveur de campagnes de vaccination
L’Ancien Régime et les « choses environnantes », sur le rôle de la police et des notables pour la préservation de l’environnement urbain, avec une gestion coutumière des environnements
La libéralisation de l’environnement, où comment l’exemple de l’industrie chimique montre les changements d’approche des risques environnementaux au début du XIXe siècle, avec une régulation en trompe-l’oeil au profit (c’est le cas de le dire) de l’investissement et du développement industriel selon une principe de fait accompli
Eclairer la France après Waterloo, où l’auteur compare les expériences française et anglaise sur la question de l’éclairage au gaz, entre rôle des savants, des experts et des témoins et légalisation du risque
La mécanique de la faute, sur les notions de vices, de marché de la responsabilité, de catastrophes aléatoires, et gestion du risque à travers des assurances
Le propos de Jean-Baptiste Fressoz est très clair, richement sourcé et documenté, parfois illustré, il se lit facilement et avec plaisir.
J’en ressors avec une vision différente de la soi-disant ‘révolution industrielle’ au XIXe siècle, qui n’était pas une marche en avant inéluctable mais au contraire un processus qui a été contesté, débattu, et où certaines options technologiques se sont imposées par des choix conscients mais pas toujours (jamais ?) démocratiques. J’y vois une sorte de fabrique du consentement au progrès technologique et aux conditions dans lesquelles il s’est déroulé depuis le XIXe siècle. C’est à la fois attristant et encourageant, car cela signifie que rien n’est écrit d’avance, à condition de mettre de la démocratie dans les choix technologiques qui s’offrent à nous aujourd’hui.
Zéro Janvier – @zerojanvier@diaspodon.fr