Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Libres d’obéir (Johann Chapoutot)

Dans un style parfois aride, l'historien Johann Chapoutot nous raconte la vie de Reinhard Höhn, juriste et intellectuel technocrate du IIIe Reich et reconverti après guerre en enseignant puisqu'il fondera un institut de formation en management où passeront quasiment toute l'élite économique de la RFA depuis les années 1950 jusqu'aux années 1980.

Reinhard Höhn (1904-2000) est l'archétype de l'intellectuel technocrate au service du IIIᵉ Reich. Juriste, il se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l'État au profit de la “communauté” définie par la race et son “espace vital”. Brillant fonctionnaire de la SS – il termine la guerre comme Oberführer (général) –, il nourrit la réflexion nazie sur l'adaptation des institutions au Grand Reich à venir – quelles structures et quelles réformes ? Revenu à la vie civile, il crée bientôt à Bad Harzburg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l'élite économique et patronale de la République fédérale : quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes. Ou plus exactement l'organisation hiérarchique du travail par définition d'objectifs, le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l'Est, exterminer les Juifs. Passé les années 1980, d'autres modèles prendront la relève (le japonais, par exemple, moins hiérarchisé). Mais le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne.

Comme il l'indique clairement dans son introduction, le propos de Johann Chapoutot n'est pas d'affirmer que le management moderne est l'héritier de l'idéologie nazie, mais au contraire de montrer que celle-ci s'inscrit dans une pensée plus ancienne et dont on peut retrouver des éléments encore aujourd'hui.

Il y a notamment une notion parfaitement résumée par l'expression “Libres d'obéir” qui donne son titre au livre, qui consiste à donner des objectifs à un subordonné, le laissant ensuite libre de choisir les moyens pour l'atteindre. Ainsi, l'employé ou le cadre est tout à fait libre d'obéir, dans les limites des objectifs qui lui sont fixés par son supérieur hiérarchique. Ce modèle d'organisation a été imaginé dès les XIXe siècle par des stratèges militaires prussiens suite aux conquêtes napoléoniennes puis repris à leur compte par la hiérarchie nazie, puis dans l'école de management fondée par Reinhard Höhn.

Dans sa conclusion, l'auteur interroge plus généralement le lien de subordination qui lie le salarié et son supérieur hiérarchique dans le cadre d'un contrat de travail.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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