Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Vivre sans ? (Frédéric Lordon)

C’est peut-être le discours le plus dynamique dans l’imaginaire contemporain de la gauche, mais ce qui fait son pouvoir d’attraction est aussi ce qu’il a de plus problématique. Car il nous promet la « vie sans » : sans institutions, sans État, sans police, sans travail, sans argent – « ingouvernables ».

La fortune de ses énoncés recouvre parfois la profondeur de leurs soubassements philosophiques. Auxquels on peut donner la consistance d’une « antipolitique », entendue soit comme politique restreinte à des intermittences (« devenirs », « repartages du sensible »), soit comme politique réservée à des virtuoses (« sujets », « singularités quelconques »). Soit enfin comme politique de « la destitution ».

Destituer, précisément, c’est ne pas réinstituer – mais le pouvons-nous ? Ici, une vue spinoziste des institutions répond que la puissance du collectif s’exerce nécessairement et que, par « institution », il faut entendre tout effet de cette puissance. Donc que le fait institutionnel est le mode d’être même du collectif. S’il en est ainsi, chercher la formule de « la vie sans institutions » est une impasse. En matière d’institution, la question pertinente n’est pas « avec ou sans ? » – il y en aura. C’est celle de la forme à leur donner. Assurément il y a des institutions que nous pouvons détruire (le travail). D’autres que nous pouvons faire régresser (l’argent). D’autres enfin que nous pouvons métamorphoser. Pour, non pas « vivre sans », mais vivre différemment.

J'aime bien Frédéric Lordon, mais ce livre est le moins bon que je lis de lui. Sous la forme d'un dialogue écrit, il réfléchit sur la notion d'institutions (étatiques, économiques, etc.) et en particulier leur nécessité ou non pour la vie en société.

Dans certains chapitres, il le fait en manipulant des concepts philosophiques que je n'ai pas eu le courage d'approfondir avec lui, passant rapidement de longues pages quasiment ésotériques pour moi. Dans d'autres chapitres, plus intéressants à mes yeux, il le fait plus concrètement, avec des exemples historiques ou actuels qui permettent de mieux saisir sa pensée.

Finalement, cela donne un livre contrasté, parfois passionnant et parfois totalement abscons. J'ai réussi à le terminer, mais au prix d'en avoir lu réellement qu'une grosse moitié, ce qui n'est pas bon signe.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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